Nous sommes en 85 et à priori tout va bien ! Stay Hungry a fait le flambard qu’on attendait de lui et les masses hard rockisantes se sont agglutinées autour du groupe comme autant de mouches autour des vaches lorsqu’il fait beau en montagne. Tout va bien non ? Les vidéos et les singles ont cartonné, l’album est un standard de la musique peu de temps après sa sortie. On reconduit les mêmes équipes pour gérer la suite qui s’annonce faste et pleine de surprises. Le groupe n’a pas changé d’un iota depuis ses débuts discographiques et Dee est en pleine bourre, persuadé qu’il est de sa bonne étoile et de ses capacités, qui sont indéniables. Tout semble sourire aux sœurs tordues en ces mid-eighties. La pochette surprise avec Dee qui surgit de l’égout est une belle réussite.

Sauf que plusieurs dames de Washington, épouses de politiciens célèbres, qui d’un futur vide président, qui d’un secrétaire d’état en les personnes de Tipper Gore et de Susan Baker, trouvent le temps long, délaissées qu’elles sont par leurs maris en charge de la conduite de l’état. Alors, les nouvelles riches coincées se lancent sur un projet amusant : critiquer les paroles des musiques d’alors et instituer un organisme de surveillance de ces dites musiques : le P.M.R.C, pour Parents Music Ressource Center, celui-là même dont les stickers "Parental Advisory" figurent sur bon nombre de nos skeuds ! Bref, l’opinion s’en mêle, les nanas éructent tant qu’elle peuvent alors qu’elles n’y bitent que dalle, le scandale est là, le sénat est saisi, plusieurs musiciens sont entendus par les instances d’alors – dont le sénateur Al Gore, futur vice-président de Bill Clinton.

Frank ZAPPA et le folkeux John DENVER font le job, dénoncent des propos scandaleux et s’insurgent, mais tous les regards convergent vers la 3ème rock star convoquée : le grand Dee Snider, chanteur du dangereux groupe TWISTED SISTER, accusé de faire l’apologie du sadomasochisme dans "Under The Blade" et de l’ultraviolence dans "We’re Not Gonna Take It". Dee se pointe en veste à patches, toute chevelure dehors face aux costards des politiciens, qui s’attendent à interroger un demeuré. Et le frontman nous fait honneur : il récuse toutes les accusations, réduit toutes les questions à néant. On assiste à la mine déconfite des sénateurs, Gore au premier plan, qui demande à Dee : "pensez-vous réellement qu’il soit raisonnable d'attendre d'un parent qu'il ait le temps d’écouter les disques de son enfant", se voit asséner une réponse définitive : "il n’y a rien de raisonnable dans le choix de devenir un parent, c’est une chose extrêmement difficile, la réponse est oui, bien sur, les parents doivent prendre le temps". De la marmelade qu’il en a fait !

Bref, voilà où nous en sommes début 85 lorsque sort le quatrième opus de TWISTED SISTER. Je reste à jamais dubitatif devant le choix du premier single, la reprise des SHANGRI LA’S "Leader Of The Pack". Bien sûr, le ton de la chanson et la vidéo sont sympas, mais rien à voir avec le triptyque des hits du précédent album. Pour moi, une amère déception, nous ne sommes pas au niveau des compositions de Dee, c’est tout simple. Parfois, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures ! Le public et les fans ne suivent guère. Du coup, le single suivant "Be Chrool To Your Scuel", un rock’n’roll sympa avec les présences du parrain ALICE COOPER et du matou Brian SETZER au solo, ne passe pas non plus à la postérité malgré d’évidentes qualités. D’après Wiki, "You Want What We Got" au refrain asséné avec une force terrible sera le 3ème, mais je n’en ai aucun souvenir ! Le titre est en revanche d’excellente qualité.

Et pourtant, si on fait fi des singles, ça part très fort avec le titre éponyme "Come Out And Play". Toute la panoplie des gimmicks des TWISTED SISTER est là, nantie d’une certaine modernité, d’un son plus ample, et on retrouve la classe de Dee pour pondre des refrains énormes, c’est le cas ici, et je vous assure qu’il se passe rarement une journée sans qu’il ne me trotte en tête ! Mais ma composition préférée de ce Sors de là et joue est sans aucun doute "The Fire Still Burns", une vraie chevauchée proche des thèmes du Heavy Metal qui impose une forte ambiance épique. Le refrain est une véritable tuerie, grand moment de l'album, et ses rythmiques de l’enfer ont toujours aussi belle allure près de quarante ans plus tard ! Je vous la recommande chaudement si elle vous est inconnue.

C’est comme à l’accoutumée sur les morceaux moins connus que se joue la note du disque : le joli riff bien rentre-dedans de "I Believe In Rock’n’roll" ? Dee a cette science de pondre des hymnes à la lisière du Hard et du Metal. Cette fois, c’est hard-rock en diable et très efficace. D’ailleurs, il continue de 'croire' cette fois, nous avons droit au slow killer, à la chanson d’amour, aux arpèges romantiques : c’est "I Believe In You", au très joli refrain bien pop. Que de talent ! Mais l’autre fond de commerce essentiel des SISTER est le hard à tendance glam bubblegum comme sur "Out On The Streets" qui penche plus vers une ambiance à la KISS, et rien à dire, c’est toujours aussi qualitatif. "Lookin Out For #1" martèle sa rythmique avec énergie, des ritournelles souvent simplistes comme "I’m Ready To Rock’n’roll". On se demande ce que les politiciens avaient en tête en attaquant les TWISTED SISTER. Il existe tout de même bien plus subversif ! "Kill Or Be Killed" est sans doute plus entendu, un hard speedé qui déménage. Enfin, "King Of The Fools" est un mid-slow qui donne à Dee l’occasion de faire étalage de toute la puissance de sa voix, dans un ensemble très glam qui évoque à nouveau le quatuor du bisou.

Voilà, cet album est presque aussi bon que Stay Hungry, c’est une évidence. Il aurait dû percer tous les plafonds et les sœurs tordues auraient dû s’empiffrer de billets verts dans tous les sens. Malgré de jolies vidéos et une dynamique évidente, la personnalité très charismatique de Dee Snider, rien n’y fait, les fans boudent la sortie du disque qui ne s’écoule qu’à 500 000 unités. Une tentative d’explication ? Les politiciens auraient-ils agi en sous-main pour descendre l’album, via la pub, les menaces, les maisons de disque ou autres ? Ils le pouvaient... L’ont-ils fait ? C’est probable car il n’y a finalement guère d’autre explication. Je me souviens d'ailleurs fort bien d'avoir découvert l’album dans un certain ravissement. L’ambiance était clairement à TWISTED SISTER et rien ne semblait devoir les arrêter. Toutes ces années plus tard, Dee est toujours marié à son épouse alors qu’Al et Tipper Gore sont séparés. Sur le long terme, le rockeur aura eu le dernier mot.