Pour qui connaît un tant soit peu la discographie de DEATHPROD, la première écoute de Sow Your Gold In The White Foliated Earth a de quoi surprendre. Des cordes ! Une demi-heure de cordes pincées, grattées, frappées, râclées, et très peu d'électroniques. Pas d'Audio Virus, pas de drones, mais des sons étranges, dont la véritable provenance nous est difficilement identifiable. Une bonne raison à cela : Helge STEN a eu accès à la collection d'instruments d'Harry PARTCH (1), accordés selon une inhabituelle échelle musicale à quarante-trois degrés, en réaction au standard occidental le plus commun à douze intervalles. Le compositeur américain était en outre fasciné par l'intonation juste, un système ancien donnant accès à une plus large gamme de micro-intervalles, rompant encore une fois avec la musique classique européenne, mais se rapprochant alors des musiques orientales.

Commissionné par le festival de musique contemporaine Ultima Oslo en 2014, il s'agissait d'un véritable défi pour le Norvégien, d'une part peu habitué aux instruments acoustiques, d'autre part incapable de lire et encore moins d'écrire une partition. Il est néanmoins aidé dans son entreprise par l'Ensemble Musikfabrik de Cologne, dont les musiciens l'accompagnent pour une série de représentations de 2015 à 2018 et doivent à leur tour se familiariser avec l'approche si particulière et les instruments d'Harry PARTCH. Mais Sow Your Gold In The White Foliated Earth est bien l'œuvre d'Helge STEN qui, enfermé dans l'instrumentarium de Cologne, a expérimenté seul, composé, assemblé et enregistré lui-même les différentes pièces, par la suite soumises à l'Ensemble Musikfabrik. Quant au titre, il est tiré du livre d'emblèmes Atalanta Fugiens de l'alchimiste allemand Michael Maier (2). Une référence pour le moins obscure, mais qui doit être comprise comme un crédo : détruire une chose pour en créer une autre.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Il ne s'agit pas d'une relecture d'une œuvre d'Harry PARTCH puisque, nous l'avons signalé, Sten dévoile ici sa propre partition. D'un autre côté, il est aussi difficile de franchement l'inclure dans la discographie de DEATHPROD, tant Sow Your Gold In The White Foliated Earth n'a que peu de choses en commun avec les ambiances sombres des albums précédents. On aurait plutôt l'impression d'écouter un recueil de musiques traditionnelles. Mais de quel pays ? Et à quelle époque ? Grèce antique ? Japon médiéval ? Inde ancienne ? Il semblerait plutôt qu'Helge STEN ait découvert là une Terra Incognita encore ignorée des cartographes autant que des musicologues. L'intéressé évoque une nouvelle fois un rituel, afin de ne pas effrayer ses fidèles, qui s'attendraient à juste titre ici à une démarche trop absconse.

Au fur et à mesure des écoutes, ces derniers découvriront pourtant un disque profondément troublant. À l'instar de Morals and Dogma, DEATHPROD nous plonge dans un abîme vertigineux, où s'entrecroisent cordes et percussions en un fracas glaçant. De ces entrelacs secs surgissent des ombres inconnues qui vous hanteront encore longtemps. Neufs morceaux d'une pureté brute, échos mystérieux d'une civilisation engloutie subtilement ressuscitée par un artiste au sommet de son art. Une œuvre atypique et une grande réussite.


(1) Dont le nom est étonnamment mal orthographié sur la pochette de l'album !
(2) Plus précisément, la phrase est empruntée à l'étude Michael Maier's Atalanta Fugiens de l'universitaire Helena Maria Elisabeth de Jong, sortie en 1969 et consacrée au livre de Michael Maier, publié quant à lui en 1617.