Laissant derrière lui les instruments étranges d'Harry Partch, DEATHPROD est de retour à Oslo. Compositions a été enregistré dans son Audio Virus Lab, où il avait accouché en 2019 d'Occulting Disk, album extrême mais en définitive peut-être moins intéressant que les précédents. Si ce nouveau disque semble vouloir en proposer une suite, il renoue également avec l'esprit de productions plus anciennes, en particulier Treetop Drive. Helge STEN travaille toujours le son comme dans les années 90, refusant encore de céder aux sirènes de la musique assistée par ordinateur. Depuis trente ans, le Norvégien a ainsi accumulé générateurs de sons et pédales d'effets en tous genres, pour se concentrer en studio sur la création sonore pure. Tel le métallurgiste antique élaborant un nouvel alliage, il fait émerger des limbes de ses circuits électroniques des sons inédits, qu'aucun logiciel informatique ne serait sans doute capable de reproduire.

Auparavant abonné aux morceaux fleuves, descendant rarement en-dessous des dix minutes, DEATHPROD avait quelque peu changé ses habitudes avec Occulting Disk, se limitant alors pour moitié à des pistes de moins de cinq minutes. Compositions poursuit cet effort de concision et ne dépasse que rarement les deux minutes. Des constructions plus courtes qui permettent ainsi d'élargir le spectre des expérimentations, là où Treetop Drive et Morals and Dogma suivaient une courbe évolutive relativement plane. Pour autant, l'album reste d'une remarquable cohérence. On a parfois même le sentiment d'entendre ici les variations d'un même thème, décliné en une série de dix-sept tableaux qui s'appellent et se répondent.

Pour qui connaît l'œuvre de Pierre Soulages, la comparaison semblera assez évidente avec le paysage monochrome que DEATHPROD vient nous offrir. Le Norvégien explore la noirceur dans ses moindres recoins, traque la plus insignifiante particule de lumière pour mieux l'éteindre, comme s'il fallait à tout prix éviter une intrusion parasite dans cette nuit qui nous entoure. L'espace semble immense et c'est en vain que l'on essaye de reconnaître le relief des montagnes environnantes dont les échos imposants parviennent jusqu'à nous. S'il peut s'avérer parfois inquiétant, Compositions est contre toute-attente une contemplation assez intimiste. Des pulsations et des vagues qui lentement nous engloutissent. Dans un demi-sommeil, on entrevoit quelque chose d'unique. Les tréfonds d'un monde où l'on ne rencontre ni squelettes ni revenants, rien d'autre qu'un large gouffre faiblement étoilé, ultime porte vers un ailleurs aussi apaisant qu'intrigant.

Chroniquer un album, c'est idéalement donner des clés qui permettront de le comprendre. En ce qui concerne Compositions, voire la discographie entière de DEATHPROD, il est impossible d'aller au-delà de l'interprétation et du ressenti personnel, et chacun l'appréhendera sans doute à sa façon. Il y a quelques années, Helge Sten décrivait son travail comme un 'rituel antifasciste' et un moyen de faire face à la sensation presque physique d'être immergé dans une système totalitaire. Beaucoup sont restés perplexes face à ces explications et n'auront probablement pas plus de réponses avec ce sixième album. Il faut peut-être simplement voir dans cette musique un formidable outil de déconnection, un rite quotidien pouvant mener, ainsi que l'entend l'artiste lui-même, à la guérison de ses peurs les plus anciennes et les plus enfouies.