Les Etats Unis vivent une période compliquée (une constante pour ce pays). Il ne se passe pas un mois sans qu’un gouvernement ne soit pas renversé en Amérique du Sud. En juin, cinq plombiers défraient la chronique en s’introduisant dans un immeuble de Washington DC, les gars avaient confondu tuyaux de canalisation et micros. En juillet, la Black Liberation Army détourne un vol de la Delta Air Line entre Detroit et Miami. Le Président Nixon ordonne la fin des bombardements au Nord-Vietnam, ce qui n’empêche nullement le lancement de l’Opération Linebaker II. Musicalement, Bill WITHERS avec "Lean On Me", Johnny Nash avec "I Can See Clearly Now" et Billy PAUL avec "Me And Mrs Jones" trustent les charts de fin d’année. Au cinéma, Coppola (Le Parrain), Boorman (Délivrance), Fosse (Cabaret), Damiano (Deep Throat) ou Pollack (Jeremiah Johnson) proposent des paysages assez diversifiés, presque escarpés, de l’Amérique.

Il arrive parfois que la vie et la carrière de musiciens se retranscrivent à travers l’agitation que connait leur environnement, débouchant ainsi sur une période chaotique. Le lien entre l’actualité socio-économico-politique des States en 72 et l’antagonisme que traverse le couple Bramlett pourrait apparaitre en filigranes, mais il s’agit plutôt là d’une coïncidence plus qu’une incidence, la situation du pays (comme d’autres) ne semblant pas s’être arrangée depuis. Mais c’est un autre débat qui dépasse le domaine du son.

Pendant ce temps-là, les Bramlet en proie à de vives tensions sont sur le point de divorcer. Ces relations tumultueuses se ressentent pleinement sur leur discographie. Si les deux artistes ne s’entendent plus, victimes d’addictions à l’alcool et aux stupéfiants, leur production discographique se retrouve en plein imbroglio. Outre le marasme avec à la clef un manque de succès commercial frappant, le couple est en plein imbroglio contractuel avec sa maison de disque. En effet Atco édite l’album "Country Life", alors qu’à peine quatre semaines plus tard apparait "D & B Together" publié cette fois sous les couleurs de la Columbia via CBS. Rien de surprenant là-dedans me direz-vous, sauf que onze des douze titres du disque Atco figurent sur ce "D & B Together", album dont le titre parait aujourd’hui pour le moins ironique.
Quoiqu’il en soit, aucun de ces deux albums ne rencontrera le moindre succès, la source s’étant tarie après le hit "Never Ending Song Of Love" écrit pour leurs enfants. Les mauvaises langues pourraient rétorquer que la créativité et la complicité avaient pris fin bien avant lors de la tournée "On Tour" avec CLAPTON. Grosso modo, la seule différence entre les deux publications en dehors des visuels et de la position chronologique des pistes consiste dans le remplacement de "Try A Little Harder" * par "I Know How It Feels To Be Lonely".

Si Delaney Bramlet demeure encore un gros pourvoyeur en matière d’écriture avec dix nouvelles chansons, huit d’entre elles ont été co-écrites♯. Dès la première écoute, on a le sentiment que ces compos ont été façonnées à la va vite. Les mélodies à l’instar de la trame sont peu soignées et ne parviennent que trop rarement à accrocher l’oreille. Idem au niveau de la production qui manque de souplesse et de fluidité, Delaney, David Anderlé qui se fera plus tard remarquer dans la réalisation de génériques hollywoodiens, faute de mieux et Doug Gilmore, plus auteur-compositeur que producteur, donnent l’impression de se marcher sur les pieds. Il faut dire que le parterre d’accompagnateurs, aussi touffu qu’une rame de métro bondée, n’aide pas à éclaircir la tonalité parfois proche du tohu-bohu.

La déception est d’autant plus grande que le disque partait sur de bons rails avec "Only You Know And I Know", une reprise du guitariste anglais Dave Mason (ex Traffic). La présente version rivalise pleinement avec les futures reprises de Rita COOLIDGE, Ben E KING ou Joan OSBORNE. Les percussions, les guitares et les cuivres semblent en symbiose alors que Delaney et Bonnie n’ont peut être jamais été aussi fusionnels. La déconvenue s’amplifie avec "Wade In The River Of Jordan", un vrai Gospel magnifié par l’orgue de Billy Preston et un chœur qui ferait rougir les meilleures chorales de l’Age d’Or. Bonnie semble comme habitée, peut-être touchée par la grâce de Dieu ou les bienfaits du Jourdain. Allez savoir !

La dégringolade s’annonce doucement avec "Sound Of The City", une collaboration entre Delaney et le soulman Joe Hicks qui pouvait flirter avec de la bonne Country Soul si Delaney n’appuyait pas si inutilement sur sa voix et surtout si John Lee Johnson (aka Jaimoe) ne cofondait pas baguettes et marteau de forgeron. "Well, Well", l’une des deux compos de Delaney seul, aurait mérité une meilleure captation sonore, on a parfois l’impression que Tom Dowd et James Greene ont bourré les consoles de cotons ou des boites à œufs.
La bérézina prend vraiment forme avec "I Know How It Feels to Be Lonely", une ballade Country Soul vouvoyant avec Janis JOPLIN, sauf qu’une bordée de cordes et de violons saborde la chanson. "Comin’ Home", censé être le titre phare du disque, sera édité en single mais l’apport d’Eric CLAPTON se résume à un jeu de guitare trop démonstratif à notre goût. "Move ‘Em Out" s’inscrit dans le domaine du Country Rock, mais le titre avec des cuivres intempestifs ne se démarque à aucun moment de la floppée de la production qui envahissait alors certaines radios. Reste à savoir la propension prémonitoire qu’on peut préter aux paroles de cette chanson ? "Big Change Comin’" laisse le sentiment d’une belle foire d’empoigne dans laquelle chaque belligérant tente de mettre son grain de sel en marchant sur les pieds du voisin. "A Good Thing (I’m On Fire)" aurait pu fleurer le bon Country Soul si Delaney et sa guitare ne forçaient pas autant sur la pastille alors que les brèves interventions de Bonnie font mouche et allègent la mélodie. Bonnie apporte un peu d’accalmie avec "Groupie (superstar)", une douce ballade de Leon Russell et Delaney qui fait suite à une idée de Rita Coolidge (jamais accrédité par la maison de disques). Curieusement, cette petite pièce ultra tamisée se révèlera plus tard comme la pièce maitresse de l’album suite à sa reprise par les Carpenters (célèbre duo frère/sœur) qui la feront monter sur la seconde marche des charts au printemps 71. CHER auteure d’un single Atco épouvantable, Bette Midler ou bien encore Diane KRALL reprendront la chanson à leurs comptes.

L’empreinte mitigée que laisse ce disque se retrouve paradoxalement renforcée par l’excellence de "I Know Something Good About You" **, un superbe segment de Country Soul tiré du meilleur fût. Impression accentuée par la faiblesse de "Country Life", un titre Country avec pedal steel complètement insignifiant et hors sujet avec le ton général.

Au moment de régler l’addition, la sensation de s’être fait avoir par certains plats aguicheurs figurant sur la carte laisse comme un goût de regret dans la bouche. Certaines pistes font clairement penser à du remplissage ou à une fin de cycle. Ajoutons que la proéminence du nombre de participants impacte la limpidité de certains passages. Cette galette peine à obtenir la moyenne par la faute d’un trop grand nombre de pistes inconsistantes.

Note réelle :2,5


♯Plusieurs sources annoncent deux compos de Bonnie, ce qui contredit la rondelle du LP CBS.
*Titre homonyme à ceux de The Fi-Dels, Doug Riley, Thin Lizzy.
**Titre homonyme à celui de Webb Pierce.