La première mouture du CONDOR trouve un bel ancrage en 2008 avec cet Envol qui fait suite au premier album auto-produit et à Célébration (2006), deux essais remarquables au sein d'une culture provençale moribonde, y compris en musique et en termes de succès (ne me parlez ni du rap, ni de MASSILIA SOUND SYSTEM, quelles que soient les qualités !).

Le combo arlésien est déjà là en grande partie avec, bien sûr, Jean-François Gérold (galoubet-tambourin, cornemuse) qui est et restera le principal intéressé, les frères Tutillo dits 'les Tutillos' (Segundo aux flûtes latino-américaines, José-Luis à la guitare rythmique acoustique), Jean-Claude Dumas (batterie), Ludovic Dunan (basse, claviers) et Jean-Marc Bisson (guitare électrique). Le style pop-rock folklorique est bien en place, avec la Provence au coeur des influences ainsi qu'une plus celtique, entre autres.

L'ouverture des "Mohicans" sonne comme du PINK FLOYD, avec cette nappe de synthé dans les graves et la guitare qui tire sur le western. Au riff en boucle, plus tard, et à la danse tribale menée par le galoubet, se superposent une jig guillerette puis enfin une partie plus rock où la batterie, prise à part, sonne artisanale, avant une envolée de violon et flûte de pan. Cette suite musicale en hommage plus ou moins subtil à Trevor JONES et au film de 1992 que l'on devine aisément, permet au CONDOR de faire étalage de tous ses moyens, ou presque.

Les trompettes n'attendent que le titre suivant pour entrer, ce standard de Noël qu'est "La Cambo Me Fai Mau (bouto sello a moun chivau)", reprise par l'avignonnaise Mireille MATHIEU, le groupe folk MALICORNE. Sous forme de reggae endiablé, porté par les voix du guitariste lead et du bassiste, cette version n'est pas en reste.

Plus loin, "La Partida" emprunte cette fois au répertoire de l'artiste-martyre chilien Victor JARA, ballade brumeuse où la flûte de pan prend son envol naturellement et en se démultipliant. On salue la basse chaleureuse, les nappes, la batterie en rimshot pour un beau ton latino, pas simplement nostalgique toutefois. Le morceau ainsi interprété ferait penser à une jeune femme volage (même si 'libre' est le terme actuel le plus usité), entre innocence et séduction. À ce propos, "Sur la Route d'Avignon", sa pop-folk à la française et son chant égrillard ramènent ces choses-là au ton masculin et paillard, de la bergère à la vendeuse de melons et même une certaine Mireille chanteuse.

Certaines de ces récréations valent le détour, mais par exemple, "L'Anglaise", autrement dit "The Sailor's Hornpipe", air archi-connu et ici en version reggae, dissimule un pont jazz inattendu et très frais. Idem pour "Foggy Dew", autre standard irlandais, entre fusion rock et Provence, avec un super arrangement. "To Guerlock" est plus basique dans son élan bluegrass, mais pas de qualité moindre. Quelques rythmes industriels se prêtent au "Reel" pour davantage de modernité, de quoi relancer la vraie batterie de plus belle sur un tempo exotique. D'autres détails heureux encore ponctuent "Chanson Pour l'Irlande", depuis son trois temps lancinant jusqu'à sa modulation finale.

Peut-être le CONDOR, à ses débuts, ne savait-il pas combien de temps tout cela allait durer. D'où l'explication de la pochette sobre comparée aux précédentes et aux futures. D'où aussi l'envie de s'attaquer à du très fort, en commençant par la "Coupo Santo", hymne provençal que l'on doit à notre bon vieux poète Frédéric MISTRAL, et dont cette version ballade américaine n'a rien à envier à d'autres. "Amazing Grace" enfin, ouvert par un son de sitar inespéré, ponctué de rock gras au milieu des voix amples, des galoubets et des grandes cornemuses. Limpide et idéal pour clôturer un disque aussi coloré.

La nouvelle scène provençale portée par un ensemble riche de vrais musiciens est en gestation. Ce qui est sûr, c'est que Gérold et le reste de la bande n'ont pas fini de nous émouvoir, nous étonner.