Dans les films américains, il y a toujours ce moment blasé où le héros, viré par sa femme et par son boss, renié par ses enfants, torturé par son chien, se rend dans le pub miteux d’une ville moyenne pour écluser quelques Bud directement au goulot, les yeux dans le vague, faisant le point sur sa vie. Dans ces scènes, notre héros malheureux glisse habituellement une pièce dans le juke-box ou se retrouve à écouter une chanteuse interprétant une ballade country sombre apparemment taillée pour lui et décrivant parfaitement son mal-être, les enjeux auxquels il fait face, le vertige de son existence incomplète. Changez le paradigme, virez ce héros sans envergure et zoomez sur la chanteuse. C’est elle la vraie protagoniste de l’histoire. Elle qui, à un moment donné, a réussi l’exploit de composer ces mélodies bouleversantes qui se posent comme une chape sur nos médiocres existences, d’écrire ces mots bruts et si personnels qu’ils en deviennent universels, d’interpréter avec rage et retenue mêlées ces mélopées sombres dont la force est décuplée par une voix tantôt au papier de verre, tantôt pure comme celle des anges. Faites le focus, l’héroïne, c’est elle.

Hannah ALDRIDGE sait prendre son temps. Un premier album en 2014, un deuxième en 2017, et deux ans plus tard débarque cet album live, tout d’abord auto-édité en 2019, avant d’être republié à plus grande échelle par le label suédois Icons Creating Evil Art, l’année suivante. Capté à Londres ainsi qu’à Huntsville, ville moyenne de l’Alabama qui pourrait être le théâtre d’une comédie dramatique, ce live voit la chanteuse interpréter ses compositions dans un environnement acoustique, qui tranche avec l’ambiance plus électrique de ses deux réalisations studio. En résulte une réinterprétation souvent splendide des morceaux les plus inspirés de son répertoire.

Les chansons d’Hannah, qui évoquent la solitude, le désespoir, des thématiques le plus souvent sombres et pessimistes, éclosent une nouvelle fois ici dans cet écrin intimiste. "Lie Like You Love Me", morceau traitant du non-amour, prend tout le temps de se déployer, alors que l’interprétation gagne en intensité avec l’intervention, à la guitare et aux chœurs, de Walt Aldridge, père de la chanteuse. Celle-ci se livre, s’époumonne ou chuchotte, et l’absence d’arrangements nous permet d’apprécier la pertinence et la beauté naturelle de ces titres tour à tour country ou folk qui constituent ici un corpus d’une qualité remarquable.
"Goldrush", interprété en duo avec le chanteur Robbie Cavanagh, se révèle ici d’une splendeur désespérée, à l’image de "Save Yourself" et "Parchman", déjà saisissants dans leur version studio. "Lace", interprété en compagnie du chanteur d’Americana Danni Nichols, est un autre grand moment qui voit Hannah décrire ses démons intérieurs avec une sensualité sombre, presque malsaine. Habitée, la chanteuse pousse ici des cris et des envolées provoquant d’authentiques frissons, faisant de cette ballade blues un grand moment.

L’artiste nous propose un inédit inattendu, "Rails to Ride", titre 100% pur country, authentique autant qu’énergique, ici interprété en compagnie du Goat Roper Rodeo Band. La participation du groupe (guitares, contrebasse, percussions) donne une saveur inattendue à ce live qui devient d’autant plus chaleureux, un cocon doux-amère dans lequel l’auditeur se complait.

Les fondus entre les morceaux sont un maigre prix à payer pour savourer ce live qui voit Hannah ALDRIDGE extraire le meilleur de son répertoire et concocter une setlist qui voit ses merveilleuses ballades folk côtoyer ses perles country-folk ici superbement 'déshabillées' pour briller dans ce format acoustique. Intense, intimiste et majestueux, Live in Black And White est un complément parfait pour prendre la mesure de l’immense talent de Hannah ALDRIDGE sur sa première partie de carrière.