UK Grim ou ce Royaume-Uni sinistre - encore - vu par les SLEAFORD MODS. Cela nous fait penser à la plage pourrie évoquée dans l'album précédent, Spare Ribs, avec cette critique toujours centrée sur leur propre pays. Mais ici la référence au film Alien le 8ème passager est immédiate dès l'ouverture de la pochette : "In England no-one can hear you scream" (En Angleterre personne ne peut vous entendre crier); ce pays est donc un vrai film d'horreur, les gens souffrent, ils crient leur douleur, les monstres rôdent, prêts à les saisir à la gorge, mais personne n'entend tous ces gens abandonnés à leur sort; et d'ailleurs, dans cet album nos Anglais continuent avec leurs nombreuses allusions cinématographiques.

Par exemple, dans "Tory Kong", à la référence évidente, Williamson chante Tory Kong ... I don't wanna go to that island, mythical beast. Flesh eating monster (grand singe conservateur ... je ne veux pas rejoindre cette île, bête mythique. Monstre dévoreur de chairs). Et pour vous dire que les Tories ne sont pas rancuniers de tous les crachats qu'ils recoivent encore dans cette nouvelle livraison qu'est UK Grim, le Financial Times a collé une note de 4/5 à cet album. Franchement où va-t-on ? Le système a la faculté incroyable de tout avaler et digérer.

"Pit 2 Pit" renouvelle sa critique acerbe du lockdown sanitaire. De son côté, "D.I.Why" s'en prend encore à tous les groupes post-punk qui se pensent héritiers punks (You're not D.I.Y you're a fucking twat, You do playlists for Fred Perry you boring Cunt), à tous ceux qui sont faux, avec cette phrase en introduction, complètement hilarante : Excuse me mate! You've just dropped one of ya tattoos (Excuse-moi mon pote, tu viens de laisser tomber un de tes tatouages). On reconnaît bien là la patte provocatrice, acide et malicieuse de Williamson.

Côté musical, les boucles de Fearn sont plus rudes, toujours très efficaces, et continuellement agrémentées de nouvelles petites trouvailles sonores. Il faut se replonger dans leurs premiers albums pour se rendre compte à quel point, mine de rien, leur musique a gagné en profondeur, en richesse, en détails et en réflexion. Et ici on constate rapidement que le curseur a été nettement poussé sur les basses et les graves, conférant à ce nouvel album une enveloppe bien sombre; oui, dès le premier titre "UK Grim" le temps est maussade et il n'y a pas de quoi se réjouir.

Passée cette première impression d'étouffement, UK Grim va faire se lever les brumes et se révéler bien plus enchanteur que son atmosphère oppressante; chaque titre est un petit monde sonore à lui seul, bien repérable et bien travaillé.

Les percussions de "Tory Kong" nous propulsent vers les contrées tribales de la fameuse île du roi Kong; on nous propose d'imaginer l'île de Grande-Bretagne soumise au saccage de ce monstre de droite qui la parcourt de long en large. "D.I.Why" est une pièce de hip-hop aux atmosphères particulièrement lugubres. Dans "Don", Fearn se sert également du piano pour délivrer des atmosphères sinistres, la maison hantée de CYPRESS HILL n'est jamais loin.

"Force 10 From Navarone" fait appel à la participation vocale de Florence SHAW (DRY CLEANING) et voit le groupe de nouveau émerger des effluves du dubstep. "On the Ground", tout comme "So Trendy", est particulièrement entraînante et tubesque et "Right Wing Beast", qui groove bien, montre que Williamson s'attache toujours aux mélodies. En revanche, "Tilldipper" est un missile punk direct 'in your face' de moins de 2 minutes 30 et sur "Pit 2 Pit", à la guitare funky, c'est la crise d'épilepsie qui nous guette.

Le groupe nous propose d'explorer un peu plus des titres lents comme "Out There" du précédent opus Spare Ribs; c'est le cas de "Smash Each Other Up" aux synthés noyés dans la réverbération et de "I Claudius" aux atmopshères comateuses et vaporeuses particulièrement soignées, deux très bons titres dans leur registre. Le dernier titre, "Rhythms of Class", nous semble tout droit sorti des sons électroniques de la fin des années 80.

Cette nouvelle sortie de nos Anglais m'a donné l'occasion de relire des commentaires indignés de personnes s'offusquant de l'indigence de leur musique, de leurs paroles et attitude inutilement provocatrices. Bref, de l'absence de talent pour faire court. Si on pouvait comprendre une partie de ces arguments au début de leur carrière - sans les approuver - rien ne serait plus injuste que de critiquer leurs derniers albums de cette manière. Et cette dernière livraison, au-delà des premières impressions qu'elle peut laisser, est vraiment une de leurs meilleures. Le son se complexifie, les jeux de mots et allusions diverses plus ou moins cachées nous font sourire et font mouche dans leur registre, les titres sont soit bien percutants, entraînants ou atmosphériques et c'est surtout ce qu'on attend du groupe; UK Grim est certes parcouru par des ambiances sinistres qu'il faudra apprécier mais cet album est finalement très bon de bout en bout.