L’icône elfique islandaise traverse une période trouble et difficile depuis le décès de sa maman en 2018. Le confinement est donc pour elle l’occasion de se pencher sur son passé, sur sa vie, avec toute l’acuité artistique dont est capable une des artistes majeures de notre temps, la leader de la scène islandaise, ce qui n’est pas peu dire, croyez-moi sur parole ! J’ai longtemps flanché devant cette oeuvre noirâtre et exubérante. Car Miss Gudmunsdottir n’a jamais été aussi folle dingue qu’ici. Une gageure ? Je vous l’accorde, cela sonne présomptueux, vu la donzelle. Sa voix a d’ailleurs maturé, et les expérimentations sont ici plus fortes que jamais. BJÖRK a désormais 58 ans et la voici arborant une charmante Pompadour où on ne l’attend guère !

L’artiste a décidé de se relocaliser chez elle dans le pays de glace pour l’enregistrement de cet album entièrement dédié à la mémoire de sa maman. La très étrange "Sorrowful Soil" la voit creuser le sol à la recherche de l’être perdu – c’est la signification du titre Fossora -, des voix, quelques sons synthétisés et une ambiance païenne qui ne dépareillerait pas dans la gigantesque Hallgrimskirkja qui domine Reykjavik. "Ancestress" est aussi pour sa génitrice, avec cette fois des xylophones qui sonnent telles des cloches, nous sommes dans le recueillement face à l’être perdu et BJORK elle même semble un peu perdue, et roule les 'r' avec force renfort de vieux norrois. La vidéo baroque tournée dans la nature islandaise est intrigante.

"Atopos" introduit l’album dans une veine trip-hop assez habituelle chez l’Islandaise : les bois sont à la manœuvre sous des percussions entêtantes, tout ceci placé sous le sceau de l’angoisse propre à BJÖRK. Soutenue par des cordes morbides quasi agonisantes, "Freefall" nous plonge dans le drame de la chanteuse qui ne peut plus se jeter à corps perdu dans les bras de sa mère. Les bois telluriques de l’éponyme "Fossora" et sa vidéo colorée et dézinguée nous plongent dans un monde hobbits d’où la folie est toujours présente. Des percussions quasi technoïdes prennent le relais et on sent que BJÖRK est sur le fil. L’éthérée "Her Mother’s House" nous plonge dans un monde onirique ou souvenirs et réalisme s’entrechoquent avec constance sous des bois stables.

La norvégienne Emilie NICOLAS est de la partie sur l’ambiance champêtre et douceureuse de "Allow" où les bois sont maîtres. Quand on entend ça, on se dit que tout ne tourne pas exactement comme chez tout le monde chez la chanteuse islandaise. Nous sommes très proches du secteur fermé. Toujours les bois à l’oeuvre sur "Fungal City" alors que "Trolla-Gabba" est un petit interlude cauchemardesque, comme un mauvais rêve d’enfant, une ritournelle psychiatrique qui reflète les angoisses de l’artiste à merveille. Les sonorités grave et lourdes de "Victimhood" pèsent comme un poids mortel sur l’artiste dont la souffrance est presque palpable ici.

L’Islandais reprend ses droits sur "Fagurt Er I Fjordum" - "les fjords sont magnifiques" - sonne telle une chansonnette traditionnelle du pays de glace et de feu. Les vocalises de "Mycelia" sont élégantes, même si l’angoisse sourde n’est jamais loin. L’artiste tente-t-elle une analyse de sa conception dans "Ovule", sa troublante vidéo et sa rythmique désincarnée ? En tout cas, la psychothérapie de BJÖRK Gudmundsdottir se poursuit sur ce dixième opus, encore plus chargé que les précédents question psyché. L’artiste poursuit sa route loin des attitudes mainstream de la plupart de ses congénères. L’Islandaise est une elfe, sa musique le symbole d’une originalité issue de son île magique, pays des trolls et des Elfes dont elle fait partie. Pas facile à suivre mais toujours prenant, un trois complexe.