Réservons un paragraphe pour glorifier l’audace indiscutable d’une artiste ayant toujours su faire évoluer sa musique de façon intelligente et qui, avec Medùlla, franchit un cap où on ne l’attendait vraiment, vraiment pas.

De BJORK il ne reste que la voix. Une voix puissante, sensible, fraîche, parfois irritante il est vrai. La chanteuse est ici totalement mise à nue, comme la pochette semble d’ailleurs l’illustrer. Un pari risqué, car si son talent de chanteuse est évidemment son principal atout, les éléments électro et l’immense inventaire sonore dont elle dispose en sont un excipient a priori indispensable. Avec BJORK, la voix donne l’intensité et l’âme, la musique le corps et les couleurs. « Bachelorette », « All Is Full of Love » ou encore « Pagan Poetry » pour n’en citer que trois sont le résultat d’une communion parfaite entre ces deux aspect de l’art de l’Islandaise. Et aussi longtemps que la recherche sonore est maintenue, l’ennui se ne montre jamais. Partant de ce postulat, difficile d’appréhender ce Medùlla sans quelques craintes.

Fort heureusement, dans cette expérience presqu’exclusivement vocale, Björk s’est entourée d’un certain nombre d’amis plus ou moins prestigieux : les chanteurs Mike Patton et Razhel, les beatboxers Dokaka et Shlomo, le trombone humain Gregory Purnhagen et diverses chorales. Et voilà que la chanteuse récupère des timbres variés, du rythme et un grain de folie. L’éventail s’ouvre et laisse finalement apparaître une fresque alléchante, des possibilités multiples et jusque-là inexplorées.

N’ayons pas peur des mots, Medùlla aurait pu toucher au génie. Les éléments y étaient réunis : une idée brillante, une compositrice de talent, une large réserve de moyens. La magicienne avait son livre des ombres et sa baguette de sureau.

Hélas, Björk a préféré n’utiliser que très partiellement la large palette dont elle disposait. Il en résulte un album plat, où la majorité des chansons s’avèrent inconsistantes et mal construites. Elles ne sont pour la plupart qu’une nouvelle bonne performance vocale de la chanteuse islandaise, bien que parfois gâchée par des lignes de chant brouillonnes. Medùlla a sans doute été pensé comme un album profond et personnel, mais l’absence de point d’accroche est à mon sens la conséquence d’un manque de rigueur. Ou d’envie. Dans cet enchaînement de titres insuffisants (« Vokuro », « Oceania », « Öll Birtan », « Mouth’s Cradle » …), seul le quasi-tube « Who Is It » possède une structure et un ton conventionnel en plus de proposer une belle performance des invités, mais il n’en reste pas moins anecdotique. « Ancestors » quant à elle, vire à l’insupportable ; l’écouter en entier est une véritable torture. « Desired Constellation » est plus conventionnelle, mais tourne en rond.

« Where Is the Line » montre ce que l’album entier aurait dû être : assumé, riche et fort. Rythmique imperturbable, chant possédé, chœurs tantôt graves, tantôt fantomatiques. Un petit exploit en soi. D’autres titres sont plutôt bons, comme « Pleasure Is All Mine » et « Triumph of a Heart », et ce sont les plus denses. « Submarine » est intéressante mais sa réalisation est plutôt grotesque.

Medùlla est donc un réel gâchis. Il aura prouvé que la voix humaine (ou plus généralement la bouche…) pouvait à elle seule générer une grande variété de sons, de rythmes et d’émotions sans en dévoiler les saveurs. Ou juste une goutte…