Depuis le début des années 2000, SEVEN REIZH était le projet s'articulant autour de deux créateurs, Claude Mignon et Gérard Le Dortz. Quand S'envolent les Mots est plus un projet 'à part' de Claude Mignon, pour clôturer l'histoire d'un grand chapitre, le monolithe double La Barque Ailée / L'Albatros (2015 et 2018) dans une certaine fidélité au titre choisi. L'œuvre-fleuve est retravaillée pour donner une version à grande dominante instrumentale, avec un réagencement des morceaux et des titres différents.

La prestation de la plupart des musiciens figurant au départ peut ainsi être réentendue avec davantage d'espace, vu que les chants et paroles de Farid Aït Siameur et des différentes vocalistes femmes (à l'exception de Stéfanie Théobald) ont été séparés, se sont envolés. L'idée de voyage sur les pas de Le Bris, créateur d'Enora la barque ailée, se fait donc différemment, en deux fois quarante minutes de musique, avec une majesté naturelle sur laquelle l'humain semble se greffer occasionnellement.

Il y a eu des ajouts notamment pour la part extrême-orientale avec du chant en vietnamien (Huong Thanh, spécialiste du jazz aux côtés de Nguyen Lê, Renaud Garcia-Fons etc) remarquable dès la fin de "Cheñch", autrement dit "Kemmañ" sur La Barque Ailée, mais aussi du dàn tranh joué par Xuân Vinh Phuoc, audible sur "Neseli". Et plus proche de nous, beaucoup de parties de guitare classique/andalouse/flamenca par Rosendo Gomez, membre actuel des GYPSY KINGS, avec des régals multiples sur "Odisea", "Herzel" ou encore "Breathe".

Le travail global est très intéressant et joliment fait, malgré des moments si posés et ancrés dans une veine ambiante sans les paroles, qu'on pourrait avoir des sensations de vide. Ce n'est certes pas le cas de "Antre", avec la harpe de François Pernel en notes mélancoliques, ni même des pavés prog celtique-world que représentent "L'Ombre de Féng" ("Brizh"), "The Middle Path" ("La Voie du Milieu").

Et puisqu'on parlait de guitare, l'accent mis sur les solos électriques de "Cheñch" (sans oublier cette intro décidément très floydienne avec la 'slide' et un 'great gig in the sky' latent), "L'Ompbre de Féng" et surtout "Vents Contraires" est saisissant. Tous ces morceaux, abordés autrement avec ce dernier disque, n'en perdent point leur moëlle lyrique, fantastique. Les voix turques et vietnamiennes apportent une autre forme d'espace, quitte à reléguer un peu les vocalises de Nadia Simon au second plan, et on y goûte bien, même si Bleunwenn, Astrid Aubron et Laurène Bourvon nous manquent d'une certaine façon, sans oublier un certain chanteur kabyle.

Jusqu'au final "Klozañ" qui n'est pas sans évoquer les airs de fado, on reconnaît facilement un superbe travail à nouveau, un débordement d'émotion et de surprises. Comme un bel écho à une oeuvre très importante, Quand S'envolent les Mots est cependant sur la corde raide : d'une part, il s'apprécie tel quel en termes de relecture (avec un très beau format livre large et illustré comme pour les albums précédents); d'autre part, on aurait peut-être aimé aussi découvrir un album plus 'original' quitte à être également instrumental. Néanmoins, il convient de remercier Claude Mignon et tous les acteurs de ce qui fut une sacrée expérience, un élément de choix dans l'art musical breton.