Le titre de cet album semble annoncer le chant du cygne de CROOKED STILL. Afin de fêter son dixième anniversaire, la Racine Tordue décide d’enregistrer un digipack hybride entre E.P. et album studio. Si la formation a beaucoup tourné aux Etats-Unis lors du nouveau millénaire, plusieurs membres veulent laisser reposer les soupapes afin de voguer vers des projets plus personnels. L’alchimie entre les différents musiciens ne s’est pourtant pas totalement érodée, trois des membres d’origine forment l’ossature du quintet, alors que Brittany Haas et Tristan Claridge ont intégré le groupe depuis trois ans.

Enregistré au Rotary Records, un studio implanté à Springfield, à 150 bornes de leur antre bostonienne, l’album bénéficie d’une collaboration soignée entre l’ingé-son David Sinko (déjà entendu auprès de Rory BLOCK, UNCLE EARL, Don Williams, Trisha Yearwood, ou Béla Fleck et accessoirement membre des Punch Brothers) et une production personnelle, le tout sous la houlette du label Signature Sounds.

Comme souvent, la formation d’Aoife O’Donovan propose un programme mêlant originaux, reprises dont certaines issues du répertoire traditionnel, principalement en provenance du Folk. Deux originaux placés en tête de gondole agrémentent l’album : "It'll End Too Soon", une compo de Gregory Liszt (ancien accompagnateur du Boss SPRINGSTEEN et des Deadly Gentlemen), s’inscrit parfaitement dans le registre pratiqué par le groupe depuis ses débuts. La voix d’O’Donovan, gorgée d’une certaine tristesse, et le violoncelle nous entraînent vers un parfait prototype de New Grass, tandis que le banjo joué à quatre doigts apporte une touche plus festive, en contrepoint des autres instruments.
Le quintet délivre ensuite un medley regroupant deux compos de la chanteuse : "The Peace Of Wild Things/Dayblind". La première partie reposant sur un poème de l’essayiste Wendell Berry diffuse une atmosphère chargée de nuances reflétant les craintes de l’auteur, baptisé par le New York Time le Prophète de l’Amérique rurale. Entre murmure baroque et mélodie appalachienne, c’est une incitation à l’espoir que nous délivre Crooked Still. En guise de seconde manche, "Dayblind" s'avère un instrumental festif proche de la square dance, une création festive apportant une touche encourageante malgré les paroles pleines d’inquiétude de Berry.

De la Mersey au Massachussetts, la frontière se rétrécit contre toute attente avec "We Can Work It Out", hit des BEATLES enregistré pendant les sessions de Rubber Soul et figurant dans le double rouge. Si le chant prend de l’ampleur, l’assemblage des différents instruments débouche sur une surprenante perfection, d’autant que le titre ne s’éternise pas. Un relookage bien plus intéressant selon nous que les nombreuses covers Soul (Stevie WONDER, SAM & DAVE, Dionne Warwick) ou l’adaptation "Tout peut s’arranger" de Richard Anthony. Le groupe rend un hommage à John Hartford, l’un des maîtres du registre New Grass, avec "Morning Bugle", chanson tirée de l’album du même nom. Encore une fois, la cohésion des différents instruments semble couler de source, le violoncelle permettant d’épaissir l’ensemble à l’instar d’une farine en pâtisserie.

Au rayon du Trad., la formation revisite "When Sorrows Encompass Me 'Round", un Country Gospel Appalachien du tandem Tommy Jarrell/ Fred Cockerham. Contrairement à plusieurs repreneurs (Kaia Kater, Dirk Powell ou Zac Sokolow), le violoncelle, le fiddle et le chant gomment en partie les caractéristiques dédiées à la Country des Appalaches trop typées pour des oreilles novices. A contrario, les effluves du Blues Grass Appalachien apparaissent sur "Pretty Bird", une compo de la chanteuse et activiste Hazel Dickens. Le timbre moins aigu et moins forcé d’Aoife O’Donovan et l’apport du cello suivi du fiddle instaurent une atmosphère moins austère que certaines covers souvent chantées a cappella.

Après la paire Lennon/McCartney, c’est à un autre duo célèbre que le groupe adresse un clin d’œil avec "American Tune", une compo de Paul SIMON popularisée par The Concert In Central Park(fi] avec son compère GARFUNKEL. C’est encore une fois un petit moment de douceur auquel on est confronté ici et dont le meilleur atout demeure cette curieuse association d’instruments.

Dernier album de Crooked Still, (i]Friends Of Fall laisse entrevoir toutes les caractéristiques ayant jalonné la carrière du quintet. Certains amateurs de New Grass regretteront probablement la tristesse empreignant certaines faces, d’autres s’interrogeront sur le titre ambigu de l’album, traduisible par 'Amis en disgrâce'. Que les fans se rassurent, les membres qui se sont quittés en bons termes se produisent encore sporadiquement ensemble selon leurs agendas. Tous ou presque volent vers de bonnes carrières solo ou d’accompagnateurs.