Le titre de l’album pourrait paraitre légèrement exagéré, à aucun moment le groupe ne met le feu à la salle de bal. A moins que le titre ne se veuille ironique, prenant pour cible la Country traditionnelle, celle de Music City ou l'univers des péquenauds du Sud et du Midwest. Mais il suffit parfois d’une seule petite étincelle pour déclencher un incendie tant redouté comme en atteste "A Jackass Gets His Oats", un excellent Southern Rock patiné d’une pointe bluesy du meilleur effet.

Certains resteront interloqués devant la pochette, une peinture de Kay Nielsen, un illustrateur danois ayant œuvré chez Disney. Représenté à l’origine sous forme d’aquarelle, ce dessin, n’apparaitra qu’après le décès du graphiste danois en 1957. Le graphiste danois nous propose ici une peinture illustrant Le Conte du premier derviche, une évocation des Mille et une nuits, un épisode marqué par l’amour incestueux entre une sœur et son frère, cousin d’un derviche. Des représentations de derviches mevlevi eurent lieu en Amérique et en Europe au début des seventies, évènements qui auront probablement incité Russell Smith et ses compagnons à opter pour une telle illustration, bien éloignée des pochettes de canassons, colt, saloon, champs de blé ou paysage désertique du style Monument Valley.

Si la pochette propose un décor lié aux derviches tourneurs, un jeu de chaise musical a bien lieu avec le retour de Barry "Byrd" Burton en remplacement de Duncan Cameron, parti gagner sa vie comme guitariste de session au Muscle Shoals Sound, célèbre studio fondé par Jimmy Johnson, Barry Beckett, David Hood et Roger Hawkins, tous anciens musiciens de FAME Records.

Comme souvent Russell Smith reste le principal pourvoyeur du groupe avec six originaux. Le bassiste Jeff Davis et Bill Earheart contribuent au répertoire avec une compo chacun. L’album demeure très personnel avec une unique reprise : "Ashes Of Love" une reprise des Anglin Bros popularisée au tout début des fifties par le duo Johnnie & Jack (Jack Anglin et son beau-frère Johnnie Wright). Tout le caractère Old Time de la version d’origine s’efface au profit d’une belle ballade Folk Hillbilly interprétée en acoustique. Une version en droite ligne avec celle de Chris HILLMAN qui nous semble plus sincère et plus douce que les covers de Jody Miller ou des NEW RIDERS Of The PURPLE SAGE.

Comme souvent, c’est dans le domaine de la ballade que le chant de Russell Smith prend toute sa dimension. On retrouve un certain désenchantement renforcé par la pedal steel de Burton sur "Della’s Long Brown Hair", histoire d’un amour passager. Autre épisode amoureux se finissant en belle rupture avec "Burning The Ballroom Down", titre où le timbre de Smith évite toute aspérité mélancolique. L’érosion de la passion due au temps se révèle encore centrale sur "All That I Had Left (With You)", titre dont le tempo diminue en cadence au même titre que l’amour de la bienaimée. Une chanson sur le déni de rupture. Autre ballade gorgée d’une orchestration en droite ligne avec la West Coast, "Out Of Control" * nous conte les retrouvailles d’un homme avec sa chère et tendre après une longue séparation.

Si "I Pity The Mother And The Father (When The Kids Move Away)", paradoxalement une chanson de courte durée (127 secondes) pour un si long titre, part sur les bases d’un Bluegrass dynamique et plein de ferveur, les paroles viennent trancher avec la gaieté du morceau, le départ des enfants du foyer familial et l’éclatement de la famille dont les enfants sont expédiés aux quatre vents. Mais tout n’est pas fait de vague à l’âme dans les tranches de vie que nous raconte Russell Smith, "Red To Blue (When Dreams Come True)", une ballade parfumée d’un soupçon de Country Rock met en lumière le bonheur absolu vécu par un couple. Enième ballade "The Spirit Walk" aurait mérité d’être raccourci en termes de durée, malgré la qualité des arrangements, la mélodie finit par se perdre en route.

Mais s’il fallait décerner une mention, "A Jackass Gets His Oats" risquerait de remporter de nombreux suffrages. Si Smith nous conte les déboires d’un futur éconduit auprès d’une poupée de rêve, c’est une ambiance à l’ALLMAN BROTHER BAND dans laquelle nous immerge le groupe, les solos de guitare lents mais terriblement efficaces nous plongent dans le décor des bouges sudistes. Une piste qui booste avantageusement le disque.

Certainement trop Country pour investir les charts Pop et trop Rock pour figurer en bonne place dans les hit-parades Country, les Amazing Rhythm Aces signent ici leur dernier disque pour la firme ABC. Si la formation n’a jamais réussi à trouver sa place entre Country et un Country Rock probablement trop délicat, les orchestrations, les arrangements, des textes supérieurs à la moyenne de la production de l’époque et le chant de Russell Smith font de ce groupe l’un des plus sous-estimés issus des seventies.


*Titre homonyme à ceux de George Jones, The Eagles, Squeeze, U2 et Rolling Stones.