Nous sommes en 1979, Emmylou HARRIS s’est confortablement installée dans le haut des charts Country depuis l’album Elite Hotel. Si sa voix claire entre Folk et Country et un physique attrayant demeurent des atouts indéniables, elle peut aussi s’appuyer sur une solide équipe d’auteurs et surtout sur son Hot Band, orchestre regroupant certains des meilleurs sidemen hors Nashville. Enregistré à l’Enactron Truck, le studio mobile installé dans un camion long de 12 mètres conçu par Brian Ahern, ingé-son, producteur, arrangeur, multi instrumentiste et époux de la chanteuse depuis près de deux ans, ce sixième disque studio (le 4ème publié par Warner Bros) s’écarte quelque peu des précédents recueils.

Certains puristes de Nashville et de nombreux amateurs d’Hillbilly en provenance du Mid West reprochent à la chanteuse une orientation nettement trop Pop et trop lisse. Si elle ne renie pas ses précédentes productions, la chanteuse refuse de se mettre à dos les inconditionnels de la Country d’antan, il faut dire que les péquenauds intransigeants n’ont jamais été si nombreux constituant une sorte de lobbying puissant et une manne financière non négligeable.

Brian Ahern et Emmylou Harris ont concocté un ensemble de dix chansons principalement constitué de reprises. En guise d’hors d’œuvre, elle reprend "Sister's Coming Home" une ballade inusitée de Willie Nelson sous forme de Honky Tonk parfumé d’un zest de Bluesgrass. Si la guitare d’Albert Lee et le piano de Glen Hardin impulse du dynamisme alors que le fiddle de Ricky SKAGGS s’avère virevoltant en diable, la pedal steel d’Hank DeVito nous renvoie vers une sonorité vieillissante. Mais cette histoire de fille battue qui revient dans la maison familiale est aussi prétexte à un premier duo avec la participation de Tanya Tucker.

L’album propose par la suite un concentré de ballades, registre qui a le mérite de ne pas nous affliger d’un lumbago. "Beneath Still Waters", une compo de Dallas Frazier sur l’érosion d’un couple, reprend les concepts de la ballade de bar, la larme à l’œil est garantie d’autant que les guitares acoustiques d’Emmylou et d’Albert Lee nous paraissent bien mornes. A noter pour les amateurs de cinéma qu’on retrouve la chanson interprétée par l’acteur Michael Shannon au générique de la série télé George & Tammy, un biopic sur la relation tumultueuse entre Tammy Wynette et George Jones, un épisode qui divisa une partie de l’Amérique. Comme souvent, Emmylou reprend une chanson de son mentor et ancien compagnon, "Hickory Wind" qu’on retrouvait dans l’album des BYRDS Sweetheart Of The Rodeo, prend ici une forme fortement mélancolique. La nostalgie de moments vécus lors de l’enfance rejailli ici comme le nez au milieu de la figure.

Le tandem Mort Shuman/ Doc Pomus aura contribué à un nombre incroyable de hits savoureux. Sous forme de ballade Country on retrouve "Save The Last Dance For Me", ancien Numero Un des DRIFTERS ; le titre fera l’objet d’une flopée de reprises mises à toutes les sauces. A l’image d’autres registres, la Country tenta de mettre la chanson dans sa besace (Faron YOUNG, Dolly PARTON, Eddy ARNOLD, Buck Owens) souvent dans des interprétations proches du ridicule. Là si le titre nous laisse une impression mitigée, il faut toutefois admettre que la mandoline d’Albert Lee associée au fiddle et aux guitares acoustiques du couple Ahern/Harris engendre une ambiance triste semblable à certaines ballades Tex Mex. Décédé à la fin des sixties, Leon PAYNE reste l’auteur d’une centaine de chansons dont le célèbre "Lost Highway" repris par Hank WILLIAMS. Emmylou lui rend hommage avec "They’ll Never Take His Love From Me" ; si la guitare de James Burton apporte un plus, l’harmonica discret de Mickey Raphael confère au titre un certain cachet. L’une des meilleures reprises du morceau avec celles de Johnny HORTON, Don GIBSON et John Prine.

Les influences Folk de la chanteuse pointent le bout du nez avec "Sorrow In The Wind", une ballade de Jean Ritchie, une virtuose du dulcimer et grande auteure liée au Folk Appalachien. Si deux choristes épaulent parfaitement la chanteuse tandis que le fiddle suscite un décor austère, le caractère appalachien du titre d’origine disparait totalement.

"Rough And Rocky", un inusité de Charles Justice, ne se révèle guère plus rapide mais l’accordéon de Lincoln Davis Jr (rejeton du redoutable Link DAVIS) et la mandoline de Skaggs permettent de mettre du liant. Une chanson qui aurait pu figurer dans Quarter Moon In A Ten Cent Town. Composition des Louvin Brothers, célèbre duo spécialisé dans un Country Gospel rigide, "Everytime You Leave" remporte ici haut la main le Prix du titre le plus larmoyant, malgré la présence de Don EVERLY. Popularisé par Loretta Lynn (native du Kentucky), "Blue Kentucky Girl" nous conte le départ d’un homme de la campagne quittant sa belle attiré par les lumières de la ville. Si les paroles frisent la parodie dotée d’un humour involontaire, la pedal steel d’Hank DeVito et le banjo de Brian Ahern sont proches de la caricature, phénomène renforcé par la présence d’une guitare high-strung (3 ou 4 cordes sont accordées de manière à monter d’un ou deux octaves) sonnant comme une mandoline italienne.

La cadence monte enfin en gamme avec "Even Cowgirls Get The Blues" une compo de Rodney Crowell préalablement enregistrée par l’actrice chanteuse Mary Kate Place. Si les paroles sont un condensé de clichés sur la solitude que rencontre en tournée certaines cowgirls, la mélodie prend enfin de la voilure par l’intermédiaire de la guitare d’Albert Lee alors que l’harmoniciste Mickey Raphael aurait à notre sens mérité d’être mis plus en avant, Dolly PARTON et Linda RONSTADT faisant office de choristes de luxe. Le titre connaitra quelques sursauts via un duo entre Johnny CASH et Waylon Jennings et sera repris par Emmylou Harris, Dolly Parton et Linda Ronstadt dans une énième réédition des albums Trio I et Trio II publiée par Rhino.

Si ce disque a récolté un Grammy et a atteint la 3ème marche des meilleurs disques Country dans les charts américains, il convient aujourd’hui de revoir sa note à la baisse. Le répertoire constitué à 80% de ballades sonne un peu mou du genou et surtout cette association de titres ne semble guère avoir de fil conducteur. Quel peut être l’intérêt de reprendre "Save The Last Dance For Me" ou le pleurnichard "Everytime You Leave" ? Autre ombre au tableau, les interventions d’Hank DeVito à la pedal steel s’avèrent défraichies et souvent geignardes. Donc pour résumer, on a en guise d’ouverture fermeture deux mid tempo et au milieu des ballades pas vraiment captivantes malgré l’apport de quelques duos, procédé qui tient plus du markéting que du feeling. Ce disque a été réédité à maintes reprises en format CD et vinyle, en 2004 Warner Bros agrémentait l’album avec 2 bonus dont un duo avec Glen CAMPBELL. Avis aux gogos !

Note réelle 2,5.