En préambule, si vous possédez le 45-tours de "Keep On Single" couplé avec "Soul Jones" édité en 1974 par Capricorn, sachez que vous pourriez toucher la modique somme de 399 $, c’est du moins ce qu’en demande un vendeur américain. Eh oui, il y a vraiment des gens qui ne doutent de rien !

Nous sommes donc en 1974, WET WILLIE tourne sur une grosse partie du territoire, le groupe vient de se produire en première partie des ALLMAN BROTHERS, Alice COOPER, MARSHALL TUCKER BAND et Jeff BECK, quand Capricorn Records les invite à revenir en studio afin d’entamer un troisième album studio. Si la line-up n’a pas changé, ce troisième opus studio voit l’arrivée du producteur Tom Dowd, ingé-son de la firme Atlantic, maison mère de Capricorn, qu’il a contribué à faire grandir pendant 25 ans. Après avoir longtemps officié dans le Jazz et la Soul, Dowd s’est reconverti dans le Rock Sudiste, produisant ou enregistrant notamment CREAM, DEREK & The DOMINOS, ALLMAN BROTHER BAND, Eric CLAPTON, Tony Joe WHITE.

La pochette illustrée par un prédicateur itinérant (le Révérend Pearly Brown) * avec sa pancarte autour du cou, une prise de vue d’Al Clayton, photographe designer attitré de la Columbia, peut prêter à confusion. Ici, il n’est nullement question de Gospel ou de Holly Blues, d’ailleurs le label prend soin de faire figurer le groupe en médaillon devant une échoppe de vente de bouteilles d’alcool, peut-être le même endroit que la photographie principale. Détail amusant, le proprio du magasin et le guitariste non voyant portent le même nom.
Si Elkie Brooks vient parfois prêter main-forte au groupe en concert dans un rôle de choriste, le groupe peut compter sur son duo de choristes habituelles, Donna Hall (la sœur) et Ella Avery, Joyce Knight (qu’on retrouvera sur scène au sein de LYNYRD SKYNYRD) venant compléter la paire attitrée du groupe. Les autres membres demeurent inchangés, d’où une complicité et une cohésion évidentes. Cette impression est aussi renforcée par la présence aux consoles d’Alby Galuten, ingé-son et bras droit de Dowd, qui apporte de la densité.

Comme souvent Jimmy Hall et, dans une moindre mesure, Ricky Hirsch demeurent les principaux pourvoyeurs en matière d’écriture. D’entrée, l’affiliation avec le R&B et la musique noire est clairement palpable sur "Country Side Of Life". La guitare s’offre quelques pizzicati funky alors que la rythmique bien ronde et un sax discret permettent de placer les chœurs au centre. Un vrai titre de Southern Rock avec de grosses pointes de Soul. Cette connexion avec la Soul est encore plus évidente avec "Soul Sister". Le saxophone conforte les trois choristes, tandis que la guitare s’offre un bref solo gorgé de Funk Psy. Un titre en droite ligne avec le groupe COLD BLOOD de Lydia Pense. Autre piste hyper funky, "Soul Jones" est un modèle du genre. Le chant de Jimmy Hall vaporisé d’une pincée de chœurs et une guitare funky qui entraine la troupe dans son sillage sont des atouts de première main.
"Lucy Was In Trouble" aurait pu se révéler un cran au-dessus si la guitare s’était montrée plus nerveuse, l’absence d’une seconde guitare et un piano semblant toujours hésiter entre Rock et Soul constituent des barrières difficilement franchissables.
Comme son titre peut le laisser suggérer, "Trust In The Lord" débute avec l’apport de chœurs enthousiastes à l’image de certains prêches religieux, le piano de John Anthony prenant ensuite les rênes de l’attelage.

Titre à rebrousse-poil, "Alabama" s’oriente sur un Country Folk acoustique mou du genou. Probablement le maillon faible de l’album. "Don’t Wait Too Long" ne parvient pas véritablement à retenir l’attention : le groupe tâtonne entre ballade Country et un Southern Rock manquant cruellement de vitamines. Autre morceau résolument ancré dans la Country, "Spanish Moss" manque de mordant pour véritablement accrocher l’oreille, la faute encore une fois à l’absence d’une seconde guitare pouvant amener de l’intensité.

Si l’album s’achève sur l’instrumental "In Our Hearts" dans lequel piano et saxophone se livrent une bourre pleine d’allant, c’est "Keep On Smilin’" ** qui reste dans les mémoires, la chanson grimpant à la 10ème marche des charts américains. Si les paroles de Jimmy Hall gorgées de métaphores diffusent une certaine ambiguïté, son positivisme lui a permis d’atteindre une honorable et inattendue place dans les classements. Le titre, repris par Rockin’ DOPSIE, Tommy Castro ou Don Rich, porté par l’harmonica de Jimmy Hall, reste aujourd’hui encore la marque de fabrique du groupe, Donna Jack et Jimmy, la fratrie Hall, se produisant encore actuellement.

Si le titre "Keep On Smilin’" a laissé sa trace dans les charts et dans l’esprit des fans de Southern Rock mid-seventies, les titres parfumés de zestes de Soul ou de R&B nous semblent bien plus captivants. Si Wet Willie n’a jamais atteint la notoriété de l’ALLMAN BROTHER BAND, la faute en incombe principalement à l’absence d’une seconde guitare pouvant contribuer à intensifier et muscler le répertoire. Réédité en 1998 par Capricorn sous format CD avec un dépoussiérage sonore parfait. Le sourire du Révérend Brown illustre on ne peu mieux le titre phare.


*Le Révérend Pearly Brown, décédé en 1986, s’est longtemps produit dans les rues de Macon.
**Titre homonyme à ceux de John Lloyd et John Paul Young.