Déjà le 16ème album de THE PINEAPPLE THIEF qui nous avait laissé sur deux chefs-d’œuvre, Your Wilderness en 2016 et Dissolution en 2018, suivis en 2020 d’un Versions Of The Truth également de très belle facture, quoique légèrement moins marquant. Give It Back sorti en 2022 était davantage une réinterprétation de titre anciens, avec la contribution derrière les fûts du prodigieux Gavin Harrison, membre émérite de PORCUPINE TREE, dont on sait que la contribution a été loin d’être négligeable dans les réussites précitées. La sortie, il y a quelques mois à peine, du 3ème album solo de son leader Bruce Soord aurait pu nous donner quelques indices sur la direction suivie désormais par le groupe, l’album Luminescence étant caractérisé par une ambiance très apaisée et un grand soin apporté aux mélodies et arrangements.

Pour It Leads To This, les quatre britanniques évoquent sur leur site un travail réellement collectif de trois années intenses pour parvenir à nous offrir ces huit titres, et ces 41 minutes de musique. Je dois reconnaître être un peu désorienté par cette affirmation, tant l’opus m’a semblé de prime abord assez linéaire, sans grande envolée ni aspérité. La durée globalement homogène des titres et leur tonalité générale m’ont plutôt dans un premier temps orienté vers la piste d’un album réalisé un peu rapidement et en pilotage automatique, mais il faut toujours se méfier avec ce groupe qui sait rendre simples et fluides les assemblages les plus complexes et sophistiqués. En effet, après plusieurs écoutes, on retrouve bien l’immense savoir-faire du groupe, sa classe et sa délicatesse dans l’élaboration d’un Rock Progressif (assez peu cette fois d’ailleurs) articulé autour de l’émotion générée par la voix de Bruce Soord, agrémentée d’arrangements et de motifs musicaux d’une grande finesse et agencés avec un soin extrême. Un mot sur la pochette : nous sommes dans une vision post-apocalyptique inquiétante, qui traduit les doutes sur l'avenir qui tiendront lieu de fil rouge aux textes de l'album.

On connaît l’importance de l’entrée en matière dans un album tant le premier titre donne le 'la' et oriente l’état d’esprit de l’auditeur. A ce titre, "Put It Right" nous accueille plutôt timidement, dans une ambiance intime drivée par de petits motifs de piano assez lents, et laissant une belle place aux superbes sonorités de la batterie de Gavin Harrison et aux silences dont la gestion est une spécialité maison. Nous sommes clairement dans l’univers de RADIOHEAD, une des grandes influences des voleurs d’ananas. Les deux titres suivants sont néanmoins plus dynamiques, et probablement les meilleurs de l’opus. "Rubicon" démarre par un bon riff de guitare saturée conduisant à un refrain très rentre-dedans et doté de jolis motifs sur mesures impaires dans un esprit prog qualitatif.
"It Leads To This", le titre éponyme, est du même niveau : un début lent, quelques effets électroniques, une belle mélodie bien portée par les parties vocales et un refrain très réussi. L’arrivée des guitares saturées conjuguée à la puissance et la richesse des lignes de batterie, puis à des motifs orientaux aux claviers, contribuent à la réussite du titre choisi comme premier single de l’album.
"The Frost" est également un morceau prenant, plus léger et plus pop mais joliment sophistiqué, et finalement accrocheur. Il est accompagné d’une belle video qui décrit la lutte pour sa survie d’un pêcheur islandais tombé de son bateau.

Parmi les autres titres, "Every Trace Of us" permet à Gavin Harrison de briller sur une intro au tempo medium, avant que le chouette refrain ne vienne enjoliver l’ensemble. "Nom It’s Yours" est la piste la plus longue de l’opus. Elle démarre dans une ambiance planante agrémentée de notes de guitare évanescentes et se poursuit par une lente progression bien menée mais pas totalement marquante. C’est un peu le même constat pour "All That’s Left" qui distille une atmosphère, intime et profonde, et contient de belles parties de chant en voix de tête très proches de celles de Tom Yorke. "To Forget" enfin vient mettre un terme à l’album avec une intro lente et autour d’un chouette arpège de guitare. Cette fois, c’est l’esprit des compositions de Steven WILSON qui nous accompagne, y compris les traits de guitares saturées, et l’évolution du titre vers des orchestrations de plus en plus ambitieuses.

En choisissant de concentrer son propos à travers des titres plus concis que de coutume, et situés dans un registre pleinement équilibré entre ses racines prog et sa séduction pop, THE PINEAPPLE THIEF a pris le risque non pas de déplaire, mais de ne pas créer de surprise, ce qui est un élément pourtant indispensable à tout grand album. Comprenons-nous bien : tous les ingrédients qui font des Britanniques un ensemble si personnel et attachant sont bien présents, mais la fée inspiration n’a cette fois pas été pleinement généreuse avec eux, et leurs incontestable brio et savoir-faire ne s’accompagnent pas ici de l’étincelle qui aurait permis à This Leads To This de s’inscrire parmi leurs meilleures réussites. C’est probablement pour la prochaine fois, sauf si Bruce Soord décide de privilégier sa carrière en solo et de lui réserver ses meilleures idées ; je vous avoue que ce doute m’a effleuré à l’écoute de cet opus. Du coup, mon 3,5 objectif reste cantonné à un bon 3 en espérant mieux à l’avenir.