Et revoici déjà Steven WILSON ! A peine 18 mois après le remarquable The Harmony Codex, il nous revient un peu à la surprise générale avec The Overview. Ce n'est pas tout, le nouveau né se présente comme un retour aux sources, une épopée de 41' dans un style Rock Progressif que Steven semblait avoir du mal à continuer à assumer pleinement depuis quelques albums.

Avant de nous plonger dans l'opus, prenons un peu de recul sur la discographie du Britannique, désormais riche de huit albums allant grosso modo de l'excellent au purement génial. Je trouve qu'ils fonctionnent un peu par paire. Les deux premiers sont très noirs et très expérimentaux, on sent que Steven avait des choses enfouies à évacuer et que sa nouvelle liberté artistique lui offrait un exutoire rêvé pour composer une musique exceptionnelle, totalement singulière et ne ressemblant à rien de connu.

Les deux disques suivants allaient combler les amateurs de Prog, enregistrements géniaux finissant de classer leur auteur au firmament des musiciens progressifs. Vinrent ensuite ses opus 'mainstream', fortement teintés de pop et d'électro, une tentative sincère et audacieuse de rencontrer un nouveau public et de dévoiler une facette encore inexplorée de ses éclectiques influences. Ces efforts ayant diversement fonctionné et rencontré leur public, il semble que la nouvelle phase traversée depuis consiste pour le Britannique à ne plus suivre que son instinct, et à composer et jouer la musique qui lui fait envie, sans plus du tout se soucier des étiquettes et des genres. Ainsi, au puissant et cérébral enregistrement de 2023, lui succède ce disque beaucoup plus court et fluide, un plaisir paradoxalement régressif pour un retour à une formule autrefois chérie et devenue quasi obsolète à l'heure de l'instantané et de la recherche de 'sons' qui viennent se substituer à l'écoute d'albums voire de morceaux entiers.

Passons déjà par le concept, largement expliqué par Steven dans ses nombreuses interviews : l'espace a toujours été une source d'inspiration pour les progueux, et les conversations du Britannique avec Alexander Milas, fondateur de Space Rocks, une approche de la musique et de l'art inspirée par l'exploration spatiale, l'ont familiarisé avec "The Overview Effect". On peut décrire celui-ci comme un choc lié à un changement de perspective mentale pour le spationaute qui découvre pour la première fois la terre dans sa globalité. Steven se saisit du concept, ravi de voir pour la première fois le thème précéder la composition de la musique.

La première partie du disque, "Object Outlive Us" est une pièce elle-même subdivisée en 6 parties. Elle nous invite à réfléchir à notre insignifiance, coincés sur notre petite planète au coeur d'un infini qui nous submerge et nous écrase. Andy Partridge, fondateur de XTC, a écrit pour Steven des petites histoires du quotidien venant apporter un habile contrepoint aux réflexions métaphysiques évoquées ci-dessus le long du profond et brillant "Meanwhile". Mais nous avons eu droit auparavant à une intro en forme de couches vocales en voix de tête superposées, dans une ambiance éthérée et spatiale, avant une implacable et magnifique montée en puissance vocale dans une ambiance intense et profonde. Le titre prend alors son envol, "Ark" révèle de nouveau des lignes vocales parfaitement addictives parsemées de traits de guitare cosmiques qui nous guident vers les gros traits de guitare et breaks de batterie qui sont la marque de fabrique du musicien. "Cosmic Sons Of Toil" est proche du métal, instrumental virtuose qui nous prend à la gorge et ne nous lâche plus. La fin du titre, plus planante, nous entraîne vers un superbe et très long solo de guitare qui conclut cette formidable et impressionnante première partie.

Le second titre de l'opus, "The Overview", nous invite à découvrir l'espace, sa beauté mais également la terreur qu'il peut susciter par sa froideur et son absence de toute vie. On y retrouve dans "Perspective" la voix de Rothem, épouse de Steven, en mode "Hal" dans 2001 Odyssée de l'Espace qui nous invite au voyage sur des beats et boucles électro. On passe sans transition ensuite à une ambiance beaucoup plus classique, très évocatrice de PORCUPINE TREE, drivée par la guitare acoustique et la belle voix de Steven et agrémentée de traits grinçants de guitare lead. Le voyage est plus qu'agréable, mais "Infinity Measured In Moments" nous conduit bien plus loin encore, un peu plus de cinq minutes de grâce d'une composition magnifique où s'entremêlent la voix de Rothem, les sons électroniques spatiaux, une forte charge de la batterie, de splendides juxtapositions de la voix de Steven et un ébouriffant solo de guitare. La fin du titre est exceptionnelle avec un chorus de synthé quasi Jazz Rock, et l'accompagnement dynamique d'un Ukulélé ! Tout se termine dans une ambiance Jazz Lounge, qui me fait irrésistiblement penser à Blade Runner dans un style assez inhabituel pour Steven mais où l'on retrouve avec un immense bonheur l'impeccable Théo Travis au Saxo. On regrette que le voyage soit déjà terminé !

Parlons des musiciens : l'alternance des batteurs est parfaitement bienvenue; au novice (chez Steven) Russel Holzmann à la prestation ébouriffante sur le premier titre, succède le non moins excellent Craig Blundell qui appose sa frappe puissante et clinique sur le second. Adam Holzman aux claviers et Randy McStine à la guitare sont des habitués, mais on comprend pourquoi ils sont si souvent rappelés, alors que Steven fait tout le reste lui-même et le fait parfaitement, mention spéciale à sa voix bien entendu mais aussi à son jeu de basse que j'apprécie particulièrement.

Inutile de tergiverser : The Overview est une totale réussite, album d'une richesse et d'une profondeur qui nous laissent pantois. L'inspiration du Britannique semble inépuisable, le son est prodigieux (casque hautement recommandé), et chaque écoute dévoile de nouveau trésors qui nous avaient échappé jusqu'alors. Il est heureux que de tels disques continuent à exister, et la place de N°1 des ventes en Grande Bretagne la semaine de la sortie, première pour Steven, est une belle récompense pour un artiste qui apporte tant. Ruez-vous sur les billets de la tournée de Steven qui passe bientôt par la France, nous aurons le plaisir de découvrir pour la première fois en Live les titres des trois derniers albums et probablement bien plus encore.

NB : je n'ai pas encore parlé du film, découvert en avant première le 3 mars dernier à Paris, et oeuvre du complice de longue date Miles Skarin. Il constitue un excellent complément à l'expérience musicale offerte par The Overview.