Dès juillet 1982, les FALL retournent en studio avec l’intention de produire un single mais l’abondance de matériel leur fait finalement opter pour un album complet, bien que celui-ci aurait plutôt le format d’un mini (sept morceaux produisant près de quarante minutes de musique) au vu des sorties typiquement généreuses du groupe mancunien. Room to Live, sous-titré (Undilutable Slang Truth !), sera publié en septembre suite à une imposante tournée océanique.

Pour ce disque, le toujours déroutant Mark E. SMITH ajoute de nouvelles lignes à la mythologie des FALL. Il bazarde ainsi la double batterie signature des dernières réalisations, exclut certains musiciens de telle ou telle chanson tout en en engageant deux supplémentaires dont l’un d’eux, le guitariste Arthur KADMON, terriblement contesté, en plus de voir les crédits écorcher sans nul doute volontairement son nom, ne tint pas cinq minutes. Peu considéré de par son format et la comparaison avec son prédécesseur immédiat Hex Enduction Hour auquel il emprunte son aspect visuel, son géniteur SMITH considère Room to Live pourtant comme nécessaire, lui permettant d’éviter à son groupe de devenir trop prévisible et grand public ce qu’il craignait avant tout.

Cependant, contrairement à Hex, les titres de Room to Live ne furent que peu testés sur la route. Arborant des thèmes lyriques similaires, ils se distinguent par leur aspect délibérément cru et minimal, même si "Joker Hysterical Face" s’inscrit parfaitement dans les pas du FALL classique pur jus, décrivant les voisins bruyants de SMITH qui écoutent du ABBA à fond les ballons.

"Marquis Cha Cha", à propos de l’épineuse guerre des Malouines, marque un premier tournant en adjoignant un inhabituel et original fond de samba. La pièce était prévue pour sortir en single mais le projet prit du retard à cause de problèmes financiers rencontrés par le label Kamera. Il foula finalement les bacs plus d’un an après. "Hard Life in the Country" et "Detective Instinct" sont les deux instants décisifs du disque, un duo de pièces statiques et minimalistes sonnant comme la bande-son d’un mystérieux polar mettant en scène un tueur sans pitié. Plus que post-punk, ces chansons s’invitent sur un terrain noise rock expérimental digne de la no wave new-yorkaise.

Tout aussi métronomique, "Room to Live" est animée des mêmes sentiments, le saxophoniste Adrian NIMAN l’agrémentant d’un zeste de LOUNGE LIZARDS louche. L’expérimental "Papal Visit" conclut le recueil en commémorant la venue à Manchester du pape Jean Paul II en 1982. Citant entre les lignes la tentative d’assassinat à laquelle ce dernier survécut, son acidité se conjugue assez bien avec son aspect solennel plus bouddhiste que catholique à dire vrai.

Room to Live reçut des critiques plutôt dures, Ian Pyle décrivant pour Melody Maker une certaine staticité dans le propos d’un gang auquel il reprochait non sans ironie de commencer à sonner comme les FALL. Malgré ses qualités indéniables, l’album, un peu court, souffre surtout de la présence écrasante du grand frère tutélaire Hex Enduction Hour. La réédition que mena Castle en 2005 compléta la galette par des pièces live à la qualité sonore aléatoire et enregistrés ici et là, la basse étant bien audible mais la guitare un peu en retrait, notamment sur "Joker Hysterical Face". On retrouve également un morceau semblant inédit en bout de course uniquement joué en Peel Session, une fascinante transe nommée "Words of Expectation" citant explicitement KING CRIMSON. Hommage à la mythique formation progressive ou expulsion d’une bile aigre jamais totalement absente du propos d’un groupe cultivant la subversion, la réponse définitive réside sans doute entre les deux…

2.5 arrondi à 3.