Recherche avancée       Liste groupes



      
POST-PUNK  |  STUDIO

L' auteur
Acheter Cet Album
 



The FALL - Grotesque (after The Gramme) (1980)
Par K-ZEN le 18 Mai 2021          Consultée 1127 fois

[Mais après quel gramme courent-ils, bon sang ? A l’ouest, 500 hectares de fromage bien documentés. 010011. Le détective y cherchait le Triangle sans savoir où creusailler. Au sud, là-bas au fond de l’horizon, l’entrée peinturlurée indiquant Peignebœufs-les-Choux était barrée d’une herse ; dans le donjon, les lapins sonnaient les cloches drapant l’abbaye abandonnée…]

Trois singles, un premier album live Totale’s Turns jetant encore un œil ému sur les années Step Forward, 1980 est une année boulimique remarquable pour The FALL. La période se révèle également une des plus stables dans la carrière fragmentée du groupe : autour de Mark E. SMITH, gravitaient pour un temps Craig SCANLON perfectionnant sa technique de guitare, les frères HANLEY se chargeant du rôle de section rythmique fiable, quand Marc RILEY ajoutait si nécessaire guitare et synthé. Les concerts permettaient soit de défendre les dernières sorties comme le single "Totally Wired", soit d’introduire également du nouveau matériel – même si par exemple "Draygo’s Guilt" n’attendrait que 1984 pour être gravé – et d’établir ainsi The FALL en tant qu’unité aux fondations solides de l’époque. Il était temps à présent de transformer ce nouveau potentiel sur un longue-durée.

Grotesque (After The Gramme) fut gravé aux Cargo Studios de Rochdale et Street Level Studios de Londres. La production, assurée par le groupe lui-même, Grant 'Showbiz' Cunliffe, Geoff Travis, le boss de Rough Trade en personne, et Mayo THOMPSON des légendaires RED KRAYOLA, souffre un peu d’hétérogénéité au vu du nombre de personnes en jeu, et évoque bien entendu l’enregistrement multipistes, a fortiori si vous lancez l’album sur votre vieux walkman. Niveau coût, Simon Ford indique dans son ouvrage Hip Priest que le disque aurait coûté 300£, la plupart investi dans la pochette.

La pochette, oui justement… Pour coller parfaitement au titre sans doute.

(Grotesque, de l’italien 'grottesca' dérivé de 'grotta' (grotte), désigne quelque chose qui fait rire par son apparence bizarre).

Dessinée par la sœur de Mark E. SMITH, Suzanne, on y retrouve une galerie formée d’étranges personnages, déformés, difformes. La sorcière revenant pesamment de son procès, regardant dans un miroir si la poussière levée par la diligence n’a pas trop altéré son teint, les bandes d’une cassette semblant s’emmêler dans ses cheveux sombres. Une lune qui n’est qu’un gros plan sur l’acné d’un jeune homme issu de la scène électronique environnante. Marko lui-même, sa grosse tête devant un micro. Un public en horizon. Une jeune femme blonde avec un badge 'Embrasse-moi' sur son bonnet. Groupie ? Un camion porte-conteneur. Un condensé de tout ce qu’on pourra retrouver, en images, dans le cœur non tendre composant ce disque relativement accessible, plutôt homogène, considéré par la suite comme une passerelle parfaite menant au meilleur du groupe et contenant des titres qui deviendront des standards, dans ce nouveau style intégrant à présent du country/folk. Ed Clarke (Mojo Collections) souligne son rôle prépondérant de 'modèle d’album à suivre pour The FALL, et une horde d’imitateurs".

Thématiquement, alors que Dragnet s’abandonnait au surnaturel, Grotesque se réancre plus dans la réalité, bien que parfois sérieusement altérée, brossant un portrait vif factuel/fictionnel de l’Angleterre via d’obscures et intenses vignettes d’où fierté et sens de la nationalité se dégagent. Il renforçait ainsi dans l’opinion populaire, bien qu’on puisse le contredire, leur nordicité. Pas un nationalisme grossier aux frontières du racisme, plutôt un sens aiguisé de l’identité et de qui on est. La plaque se tient ainsi à des années-lumière du mouvement Oï plus controversé, en cours au même moment dans le pays.

Ces impressions tenaient entre les doigts de deux chansons aux titres éloquents et aux paroles obliques : "English Scheme" et "The N.W.R.A.".

La première, brève réponse anglaise aux ruminations exposées par David BYRNE sur l’Amérique dans "The Big Country", offre un instantané des différentes strates composant la société britannique que SMITH a pu observer pendant les concerts : 'les blagues de Peter Cook, la mauvaise dope, les chemises à carreaux, les groupes pouilleux'.

La seconde, pièce de résistance de la face deux du haut de ses imposantes presque 10 minutes, rejoue la carte du krautrock vertigineux, déjà aperçu sur Witch Trials via "Various Times" ou "Music Scene", à coup de grosse basse et d’un riff ponctuel minimaliste accrocheur. NWRA alors ? Du nom de cette chambre dont la mission consiste à promouvoir économie, environnement et vie quotidienne dans le nord-ouest de l’Angleterre… ? Nope ! L’armée républicaine du nord-ouest comme on a pu l’interpréter dans certains quartiers… ? Nein plus ! Plutôt 'The North will rise again' soit 'Le Nord ressuscitera'. La chanson décrit une possible offensive du Nord pour contrôler le Sud de l’Angleterre, une guerre de Sécession qui ne se serait pas exportée en somme ! Histoire qu’on pourrait rapprocher des contes narrant ce qu’il serait advenu si les Nazis avaient envahi l’Angleterre. Le texte cite les 'morts de Culloden' prenant leur revanche, citant la bataille du 16 avril 1746 consacrant l’échec du débarquement royaliste en Écosse. La chanson a pris une résonance particulière un an plus tard, en 1981, avec les révoltes ayant secoué Toxteth (Liverpool) et Moss Side (Manchester). S’y présente en outre Joe Totale, auteur des notes intérieures de l’album, 'fils vicieux' de R. Totale, décédé au cours de mystérieuses souffrances.

L’autre grand moment illuminant cette deuxième face est l’industriel nuageux au rythme vaguement martial "Impression Of J Temperance", résidu de préoccupations surnaturelles et épileptiques écrit dans un Bed & Breakfast de Retford le 16 Novembre 1979 et nous présentant une 'horrible réplique', schizophrène ou constituée de chair et d’os. Ailleurs, le travailleur attendant son fix hebdomadaire ("Gramme Friday"), un bref manifeste glorifiant la baise en public ("In The Park") ou une grumeleuse blague bruitiste enregistrée on ne sait où, le groupe se gaussant de nous, tentant de déceler ce qu’il se passe alors que lui-même n’en sait rien ("W.M.C.-Blob 59").

Une face globalement plus aventureuse et expérimentale, après une première plus mélodique et accessible.

"Pay Your Rates", à chanter à tue-tête en payant son surplus d’impôt ou en allant acheter sa baguette avec une brouette lors d’une inflation record, a tout de la ruade punk. Alors que le thatchérisme balayait le pays, SMITH, très ironiquement, urgeait les gens à 'payer leurs taxes' au prix de finir aux 'domaines de retraite des débiteurs, un domaine de non-motivation'. Au même rythme soutenu, le redoutable rockabilly "The Container Drivers" est une chronique saillante réaliste, en parfait contraste avec le lyrisme des chansons d’amour ou le futurisme en vogue de l’époque, moult détails à l’appui : 'Mauvaise indigestion/ Mauvaise rétention intestinale/ La vitesse pour leurs salaires/ Du bronzage, des manches courtes déchirées'. Les images de 'parking' et de 'port gris' convoquées sapent presque instantanément le romantisme que peut revêtir le voyage d’un conteneur à travers les divers éléments.

"New Face In Hell", sous un format rock remodelé où le hook est joué par un kazoo, le plus prolétaire des instruments, est une longue déclamation sur le plan machiavélique d’un état pour piéger un radioamateur sur le point de partager avec un voisin un secret d’état surpris via ses transmissions. C’est un peu QRN sur Bretzelburg mis en musique, avec un SMITH se transformant en goéland sur le refrain. Hypnotique, éthéré, "C’N’C-S Mithering" est un autre grand moment, pratiquement country/rap (d’ailleurs originellement nommé "Crap Rap 14"), idéal pour la pêche au goujon. Le chanteur y apparaît plus hargneux que jamais, faisant feu de tout bois, vis-à-vis des groupes anglais en Amérique (qu’ils viennent juste de visiter eux aussi), des petits garçons 'en route pour un butin, ou une montagne de bonbons" ou de la scène synthétique bourgeonnante, moquée pour ses "attitudes théâtrales fausses sur scène'.

A sa sortie, l’accueil des critiques fut mitigé. Graham Lock (NME) fut ambivalent vis-à-vis de l’album, affublant toujours le groupe des qualificatifs 'sombre et bizarre', mais notant 'l’esprit et la fierté du nord épiçant leur cauchemar pop', les 'rapprochant dangereusement et consciemment du secret et se moquant ouvertement du monde du haut d’un piédestal culte cosy'. Edwin Pouncey (Sounds) est plus emballé, Trouser Press souligne 'la difficulté d’écoute croissante' du groupe. Dans la rubrique people, Grotesque figure parmi les disques préférés de Peter HOOK, bassiste chez JOY ORDER.

Le public se posa moins de questions, le consacrant 3 semaines durant numéro un dans les charts indépendants. Un tour pour le promouvoir fut mis en place d’octobre à mars 1981, qui mènera de nouveau les FALL aux States.

En bonus de la réédition par Castle, on retrouve, outre une interview dispensée par SMITH, leurs deux premiers singles pour Rough Trade. Sorti en juin 1980, "How I Wrote ‘Elastic Man'" a tout du rock qui déménage, faisant varier à bon escient un riff entendu chez STATUS QUO, issu du titre "Pictures Of Matchstick Men". Relatant l’histoire d’un écrivain souffrant du syndrome de page blanche, il atteignit la deuxième place des charts indie, seulement devancé par "Love Will Tear Us Apart" de JOY DIVISION. Personnellement, je suis emballé par la face B "City Hobgoblins", petite chose urgente énorme au riff imparable. Sorti en Septembre, "Totally Wired" sonne toujours aussi frais aujourd’hui, par sa hargne et fraîcheur. Sa charge d’amphétamine, même quarante ans plus tard, laisse toujours quelque résidu dans le cerveau. Deuxième place également pour ce single.

Daryl Easlea présente Grotesque comme 'le premier grand FALL', précisant néanmoins que d’autres suivront.

C’est surtout mon tout premier à titre personnel, attiré par cette pochette colorée et un vague article en causant quelque part, dans une presse punk sans nul doute. J’en garde donc une affection particulière, ses intitulés abscons, un premier contact avec cette musique rêche, si unique dans son genre.

A lire aussi en PUNK ROCK par K-ZEN :


STIFF LITTLE FINGERS
Inflammable Material (1979)
Trinitrotoluène




The FALL
Hex Enduction Hour (1982)
Subduction induction déduction


Marquez et partagez





 
   K-ZEN

 
  N/A



- Mark E. Smith (chant, bandes, kazoo, guitare)
- Marc Riley (guitare, claviers)
- Craig « scanlan » Scanlon (guitare)
- Steve Hanley (basse)
- Paul Hanley (batterie)
- Kay Carroll (voix)


1. Pay Your Rates
2. English Scheme
3. New Face In Hell
4. C’n’c-s Mithering
5. The Container Drivers
6. Impression Of J Temperance
7. In The Park
8. W.m.c.-blob 59
9. Gramme Friday
10. The N.w.r.a.
11. How I Wrote ‘elastic Man’
12. City Hobgoblins
13. Totally Wired
14. Putta Block



             



1999 - 2024 © Nightfall.fr V5.0_Slider - Comment Soutenir Nightfall ? - Nous contacter - Webdesign : Inox Prod