Le 11 décembre 1964, Sam Cooke se fait tuer dans un motel en Californie pour des raisons obscures. C’est une immense tragédie qui secoue la communauté noire américaine et plus encore. Agé de seulement trente-trois ans, l’inventeur de la soul music était alors au sommet de sa gloire. Tout au long de sa riche carrière, il n’a cessé d’influencer d’innombrables artistes dont le jeune Otis Redding. Ce dernier lui vouait en effet un véritable culte. Enregistré en avril et juillet 1965, Otis Blue permet à Redding de faire le deuil de cette perte terrible.

Contrairement à Pain In My Heart et Soul Ballads, Otis Blue apparaît comme un album abouti et cohérent au lieu d’être une simple compilation de singles. La voix puissante, mélancolique, sensuelle, brute d’Otis Redding transcende onze morceaux d’une qualité exceptionnelle. Les horizons musicaux d’Otis Redding semblent infinis : il va puiser son inspiration aussi bien chez les vedettes de Memphis que chez les Rolling Stones, Motown...et bien sûr Sam Cooke. A la différence de ce dernier, la soul d’Otis Redding est bien plus organique et électrique. Mais Sam Cooke n’aurait sans doute pas renié l’interprétation déchirante d’« A Change is Gonna Come », la version furieuse de « Skake » et la rugosité de « A Wonderful World ».

Formidablement accompagné par l’orchestre maison du studio, Otis Redding signe sur ce disque quelques compositions de grand cru. Il montre toute sa maturité sur le mélancolique « Ole Man Trouble » qui brosse le portait d’un homme en proie au doute et à la peur. On décrit souvent la soul comme un genre optimiste et plein de bonne humeur. Otis Redding démontre ici le contraire avec ces paroles dignes d’un standard de blues.

Roi de la ballade romantique, Otis redding grave l’un des morceaux les plus célèbres de son répertoire avec la complainte amoureuse « I’ve been Loving You Too Long ». Sa voix chaude n’a jamais été aussi émouvante. Enfin, il ne lui aura fallu qu’une prise pour enregistrer le mythique « Respect ». Il proteste alors contre les femmes manquant d’égard pour leur homme. Deux ans plus tard, Aretha Franklin inverse les rôles et transforme cette chanson en un hymne féministe atemporel !

La section de cuivre sur cet album est époustouflante. Les Memphis Horns transcendent la reprise de « My Girl », hit culte de l’écurie Motown composé par Smokey Robinson. Otis Redding fait ensuite le grand écart avec l’interprétation absolument foudroyante de « Rock Me Baby » de B.B. King. La basse de Donald "Duck" Dunn impose un rythme implacable tandis que les cuivres bouillonnants, la voix incandescente d’Otis Redding et la guitare acérée de Steve Cropper nous plongent dans une fournaise de blues en fusion. Et comme si l’on avait déjà pas assez chaud, Otis en rajoute une couche avec la version enflammée de « Satisfaction ».

On n’oubliera pas non plus les reprises de « Down In The Valley » de Solomon Burke et de « You Don’t Miss Your water » de William Bell qui viennent compléter ce tableau aux couleurs vives et contrastées. Porté au pinacle à l’unanimité, Otis Blue est non seulement le grand chef d’œuvre de Redding mais aussi un classique indémodable de la soul music. Une référence !