Mais qui est Dion ? Certainement pas le père de Céline. Ce grand gaillard de soixante-douze ans a fière allure avec sa barbe grise finement taillée, son sourire éclatant et sa guitare bariolée des noms de ses idoles. Dion DiMucci fait partie de la fine fleur des stars du rock’n’roll ayant émergé à la fin des années cinquante. Méconnu en France, la preuve étant la taille ridicule de sa biographie sur wikipedia, Dion a cependant une solide réputation outre-Atlantique. Ces dernières années, il s’est reconverti avec talent en chanteur de blues, glanant au passage un Grammy Award en 2006.

Il est dommage de constater que Tank full of blues, l’un des meilleurs disques de blues de ces dernières années, ait si peu d’écho en France. Dion nous fait reprendre espoir : oui, le blues a sa raison d’être en 2012. Ce disque, plein d’éclat et de vie, incroyablement savoureux, swinguant en diable, est somptueux. Merveilleusement produit, interprété avec plein de générosité, Tank Full of blues surprend, surtout après une année 2011 très morose pour une scène blues qui peine à se renouveler.

Dès la superbe introduction, la voix puissante, bourrée de sensibilité, accompagnée d’une guitare très affutée et précise, fait plaisir à entendre. Le disque démarre en effet tambour battant avec « Tank full of blues », chanson classique dans sa structure mais diaboliquement entraînante. La section rythmique d’une souplesse féline accompagne avec grâce le leader, qui sans surprise insuffle une petite dose de rock dans son interprétation. Après tout, quand on a chanté le rock’n’roll des décennies durant, difficile de se départir de ses origines, en témoigne l’excellent « My Michelle ».

Dion brille dans tout ce qu’il entreprend. Car en plus d’être un fameux guitariste et chanteur, il se révèle aussi brillant compositeur puisqu’il signe de sa main dix des douze chansons. Celles-ci se distinguent par une grande fraîcheur et variété. Les tempi rapides sont à la fête, à l’image du trépidant « Holly Brown », mais Dion sait aussi nous ensorceler au cours de ballades pleines de panache, écoutez par exemple les superbes « I Read It (In the Rolling Stone) » et « My Baby’s Cryin’ ».

Tout en imposant un style singulier, il rend hommage à des figures mythiques du genre. L’émouvant « Ride’s blues (for Robert Johnson) » rend honneur à la légende du delta. Ses influences sont également visibles au détour de reprises, « Two Train » mélangeant « Still a Fool » et « Rambling On My Mind », composés respectivement par Robert Johnson et Muddy Waters. Enfin, l’amateur de John Lee Hooker reconnaîtra sans peine la patte du roi du boogie dans le riff de « You Keep Me Cryin’ ». Dion sait donc puiser dans le blues de ses idoles pour créer un album original, enthousiasmant et très inspiré.

La dernière chanson, « Bronx Poem », s’éloigne des saveurs du delta pour revenir aux vraies racines de notre grand barbu : Bronx, New-York, la rue. Cette profession de foi autobiographique sur l’Amérique est une conclusion déroutante mais fort agréable. Elle prouve en tout cas que Dion est capable de naviguer avec aisance entre plusieurs registres.

Magique d’un bout à l’autre, Tank Full of Blues possède ce petit supplément d’âme qui fait tant défaut à la production blues contemporaine. Un sommet du genre.