Après avoir posé les bases du rock gothique et asséné au monde un des albums les plus violents du courant post-punk/new wave, le phénomène BAUHAUS n'allait certainement pas s'arrêter en si bon chemin, ça non. Ils allaient devenir encore meilleurs, en compliquant toujours plus leur recette musicale d'album en album, en jouant à défier les classifications, quitte à être parfois déroutants voire incongrus, mais jamais ridicules. C'est leur deuxième album, Mask, qui propose le meilleur équilibre entre ambition artistique et accessibilité ; tandis que leurs compositions les plus impressionnantes sont manifestement sur le troisième, The Sky's gone out.

Après le caractère plutôt monolithique de In the flat field, Mask a déjà pu surprendre, en bien ou en mal... si on s'attend à entendre du simple post punk, on risque d'être surpris, et peut-être déçu dans un premier temps, par contre les critiques ont d'emblée préféré ceci. Il faut bien comprendre que BAUHAUS est plus que cela... l'étiquette gothique ne leur a pas davantage plu qu'à SIOUXSIE AND THE BANSHEES, en fait ils se considéraient plutôt comme un groupe de glam sombre. C'est seulement en analysant l'écheveau de leurs influences qu'on peut commencer à comprendre le truc. Le fait qu'ils aient repris un peu plus tard une chanson de BOWIE et une d'ENO montre cette composante glam arty évidente. Il y a aussi du krautrock, surtout Neu!, de la musique jamaïcaine, divers collègues du courant punk/new wave (DEVO, SUICIDE, JOY DIVISION, etc.), auxquels on doit encore ajouter une certaine composante art rock folk. En effet, on trouve un peu de guitare acoustique sur la chanson-titre, jouée de façon arpégée comme chez Peter HAMMILL ou GENESIS, et ce genre de passages ne fera que se multiplier par la suite, avec des structures de chansons qui ne tromperont pas.

Mask, c'est aussi cette pochette dessinée par le guitariste Daniel Ash lui-même. Elle figure sans doute les membres du groupe, mais ce n'est pas sûr. En tout cas, 4 personnages marchent en transpirant dans un décor écrasé par le soleil, ce qui amène un élément jaune dans le noir et blanc habituel. Ce dessin a un côté surréaliste, à la fois inquiétant et humoristique, il ne peut que plaire à un amateur de bande dessinée. Il y a plus de blanc que de noir, ce qui est à l'image de la musique : ce disque est le plus amusant, le moins sombre et le plus accrocheur qu'ils aient proposé. Le changement de style par rapport à la pochette de In the flat field est également révélateur d'un autre élément : celle-ci est typique de 4AD, chez qui ils ont commencé leur carrière, or ils ont maintenant émigré chez Beggar's Banquet, chez qui ils resteront jusqu'à la dissolution de 83.

Mask ne dure que trente-quatre minutes mais elles sont haletantes. C'est une véritable leçon que BAUHAUS livre avec insolence au long de ces dix excellentes chansons. Des artistes, c'est le seul mot qui vient à l'esprit. En un sens, tous les musiciens sont des artistes, bien sûr, mais il y a chez certains une attitude qui se rapproche plus de celle des peintres, sculpteurs et architectes, un genre de folie non dénuée de prétention mais également une certaine pureté, un détachement de la dimension commerciale. En fait, ils n'ont vraiment pas choisi leur nom au hasard. Dans le même ordre d'idée, soulignons que les instrumentistes, bien qu'ayant chacun beaucoup de personnalité, ne cherchaient pas à se mettre en avant. En particulier, Daniel Ash, sans doute le vrai leader du groupe, n'aimait guère se composer des solos, préférant utiliser son instrument pour créer des ambiances, un son plus texturé que virtuose. Dès lors, c'est forcément le chanteur Peter Murphy, toujours aussi charismatique et plus subtil qu'auparavant, qui se détache.

Passons en revue ces chansons. Rien que l'ouverture « Hair of the dog » suffirait à faire de BAUHAUS un grand groupe. Outre l'idée amusante de faire une chanson effrayante sur le poil du chien, la densité musicale de ce titre est incroyable. Ces bruitages, ces tensions harmoniques, ce son abrasif... En deux minutes, ils ont tout dit, chapeau bas. Dans le style post-punk à peu près normal, « The passion of lovers » est un sacré manifeste aussi, tandis que «Dancing» est logiquement plus dansante, que le single « Kick in the eye » lorgne sur la new wave, et que « The man with X-ray eyes » ressemble furieusement à du NEU!. Il y a aussi des chansons plus étranges... il faut du temps pour avaler cette guitare crue et obstinée de la vicieuse « Lillies and remains », la ballade « Hollow hills » est très ambiante, « In fear of fear » est manifestement matinée de dub, tandis que « Muscle in plastic » flirte avec un certain swing surexcité. Enfin, le final « Mask » fait soudain apparaître cette guitare bucolique au milieu d'une ambiance gothique pesante, pour un effet étonnamment réussi.

Sur Mask, BAUHAUS a avant tout réussi à faire un sans-faute tout en proposant une musique très intelligente mais accessible, un peu la quadrature du cercle en somme. C'est une œuvre malicieuse qui peut être appréciée avec beaucoup de plaisir par n'importe quel amateur de rock. Incontestablement un des albums phares du mouvement post-punk/new wave, qui contribue à faire de 1981 une année majeure de ce courant.