C'est quoi, l'avenir dans le Texas d'après guerre quand vous êtes le neuvième rejeton de tenanciers d'un snack à Austin ? CDLM ! Tout le monde aura percuté. Les heures de gloire sans un soupçon de mérite n'existent pas dans cette Amérique-là. Et si W ou Jed peuvent compter sur la fortune de papa pour les amener à ce qui ressemble plus ou moins à bon port, les autres sont tout aussi alcooliques mais certainement beaucoup moins riches. Le Texas est l'état où la discrimination sociale est la plus forte, à tous les niveaux. Alors à peine âgé de quinze ans, Calvin prend son balluchon et part pour San Francisco, en quête d'un avenir meilleur. Mais l'Amérique des sixties n'a rien d'un Eldorado, c'est dur. Les conneries et les années de taule - une dizaine - s'accumulent dans la besace de Calvin comme les premières années de fac - une dizaine aussi - dans celle de W. Ce n'est jamais facile, il vend de la dope et multiplie les cachets minables dans les bars jusqu'à ce que, bien des années plus tard, il soit repéré par Patrick Mathé, le boss de New Rose, dans un bar d'Austin. Ainsi débute sa carrière.

A crack in Time présente Calvin sous son jour le plus sombre. Il va faire de ces songs mi-folky mi-bluesy ses trademarks, sa voix gorgée d'alcool, son ton désabusé chantant le désespoir sous toutes ses formes, il n'en faut pas plus pour que naisse une légende. Dans le même trip, "I Should Have Been Home" où un piano enrichit la sourde mélopée est très représentative de son style, d'autant qu'une gratte agressive rentre en guerre rapido dans ce fast blues très chouette. Et puis, il y a les blues-rock au son très influencé par ZZ TOP. Ainsi, "Living at the End of a Gun" rappelle les rythmiques de l'album Eliminator des barbus texans. Mais n'est pas le révérend qui veut, ce n'est pas le même niveau. Il y a "Automated" au beat pesant, "One Step Ahead", un morceau carrément d'obédience hard. D'ailleurs, Calvin a immédiatement été inclus dans les playlist - à l'époque, ça s'appelait une K7 - des hard-rockeurs de l'époque, la faute à ses titres bien rentre-dedans. "Big brother" est plus mainstream, bien rock dans l'esprit, même si le refrain porte une ambiance toujours aussi noirâtre. "Nothin" est très cool. Pour l'instant, pas la moindre faute de goût.

Dans le trip crépusculaire, ou beaucoup plus contemplatif, je vous conseille vivement "North Austin Slim", où notre alcolo taulard se révèle excellent dans la construction qui évolue en quasi hard avec un riff à décorner des taureaux texans. Et une belle lap steel guitar, une ! Plus loin, si ce n'était le saxophone funèbre, on pourrait être dans les sphères folky du barde de Duluth sur "My Way. Evidemment, on le comprend mieux que DYLAN. Enfin, notre bon Calvin termine sur de la country : tout d'abord, le joli duo romantique de "Moments" - ça n'arrivera plus guère - avec Kimmie RHODES, puis c'est roots à donf avec à nouveau la steel guitar de "Wagon to Stars", et le rythme nonchalant de "Life of a Texan Man". Précisons qu'il aborde chaque genre musical avec un talent certain.

Au final, ce premier album porte en lui les raisins de la colère. Calvin dresse un personnage assez extraordinaire de baroudeur alcolo, coincé entre ses démêlés avec la justice, ses diverses addictions, son expérience de la taule et de la castagne, bref son associalité la plus totale. Rien d'étonnant à ce que la France soit devenue la terre d'accueil de ce jumeau inversé de Georges Bush. Il manque sans-doute un titre légendaire à cet album pour en faire un masterpiece, mais le résultat est tout de même déjà bien trippant. Une belle carrière s'amorce pour cet artiste de plus de 40 balais, il n'y a pas d'âge pour bien faire .