Il est décidément difficile de parler de TOYAH comme d'un groupe (1)... la personnalité de Toyah Willcox est tellement forte que ses comparses ont toujours eu du mal à être visibles à ses côtés. C'est sans doute pourquoi le groupe n'a jamais été bien stable. Sur leurs six ans d'existence, on peut distinguer plusieurs line-ups (2)... autant dire qu'il s'agissait d'un duo, la chanteuse et le guitariste Joel Bogen, accompagnés de collaborateurs temporaires. Bref, après deux albums d'une new wave survoltée sortis en 1980, l'équipe a changé radicalement et le troisième album, Anthem, est plus propre, à défaut d'être vraiment plus sage. Notons l'arrivée au poste de bassiste de Phil Spalding, quelqu'un de très sûr qui a été connu plus tard pour son travail de requin de studio.

C'est également à cette époque, la grande époque de la new wave, que Toyah a vraiment percé médiatiquement en Angleterre. Elle était déjà une des égéries des punks depuis quelques années, sa carrière d'actrice ayant décollé plus tôt que sa carrière musicale. Certains singles des premiers albums avaient modérément bien marché, mais c'est avec « It's a mystery » que le groupe a vraiment fait un carton. Et pourtant, c'est une reprise qui leur a été imposée par leur label Safari, et dont Toyah ne voulait pas au départ. Elle n'avait pas forcément tort car c'est sans doute le titre le moins intéressant de l'album, mais bon, les lois de la réussite commerciale et du goût du grand public sont ce qu'elles sont... L'autre grand single, « I want to be free », est placé au tout début du disque, et est déjà meilleur mais, pour être franc, ce sont les autres plages qui montrent plus l'étonnante inventivité de Toyah et Bogen.

Inventive, oui... étonnante, imprévisible, parfois agaçante aussi, telle est la personnalité de Toyah. Sur Anthem comme sur les autres albums, les chansons sont fort différentes les unes des autres, toujours new wave, certes, mais avec toute l'amplitude que peut offrir ce style en matière de chansons rythmées. Certains titres sont plus lents, mais il faut bien dire que Toyah Willcox n'est pas du genre à faire des ballades langoureuses. C'est une vraie boule de nerfs qui n'a rien à envier à Siouxsie en matière de chant puissant et parfois criard. Plus précisément, elle manie le cri avec talent, en bonne actrice qu'elle est. Elle prend aussi des timbres variés, parfois des accents... il est logique de sentir une certaine proximité avec la comédie musicale anglaise dans cette façon de chanter avec beaucoup d'effets. De plus, bien que n'ayant pas vraiment eu de formation musicale à proprement parler, elle a manifestement le sens du chant ainsi que de l'oreille : elle a toujours chanté juste, ce qui ne gâte rien.

En dehors de la voix et de la guitare, le point fort du groupe a toujours été les claviers, ce qui est excessivement curieux car ce poste a été le moins stable. Comme quoi, ce ne sont pas forcément les sons en eux-même qui comptent mais la façon de les agencer... alors bien sûr, la musique de TOYAH a souvent un petit quelque chose de kitsch, comme peut l'être aussi la musique électronique allemande des années 70, du reste. Impossible de savoir qui écoutait quoi dans leurs jeunes années, mais il est évident que Toyah et Bogen avaient une certaine culture en la matière. Certains titres comme « Pop Star » ou « Jungles of Jupiter » n'ont rien à envier à TANGERINE DREAM. On pourrait même arguer qu'Edgar Froese aura voulu imiter le style de Toyah sur Tyger, mais avec une chanteuse trop peu investie pour convaincre. Quoi qu'il en soit, sur Anthem plus que jamais, les sonorités électroniques assurent autant que les textes l'identité new wave.

TOYAH est d'ailleurs un des groupes les plus représentatifs du genre. Dommage qu'ils aient été publiés par un petit label comme Safari... alors que la chanteuse a été une vraie célébrité en Angleterre pendant une bonne partie des années 80, elle n'a jamais été très connue ailleurs, et la disponibilité actuelle des disques n'aide pas. Ils méritent vraiment qu'on leur refasse un peu de publicité. Tout le monde n'aimera pas ce style excité, mais tout amateur de new wave devrait connaître des titres électriques comme « Obsolete » ou « We are », des chansons plus électroniques comme « Pop Star », « Jungles of Jupiter » et « Masai Boy », ou même des curiosités comme « Elocution lesson », « I am » et « Marionette », sans oublier ce délicieux « Demolition man » entre DEVO et ULTRAVOX. Tout n'est pas de la même qualité ni du même niveau d'évidence mais un disque comme Anthem est un étrange voyage artistique qui valait bien sa deuxième place dans les charts anglais et qui a plutôt bien vieilli, dans le sens où les sons sont certes datés, mais l'énergie reste très communicative. Et dire que son petit frère sombre, The Changeling, est encore meilleur...

(1) Conformément aux habitudes du site, et pour distinguer les deux, TOYAH en majuscules désigne ici le groupe, tandis que le prénom en minuscules désigne la chanteuse.

(2) Ceci rappelle le cas de King crimson en rock progressif. Peut-être est-ce pour les mêmes raisons ? Robert Fripp est également un artiste très fort, auprès duquel nombre de ses collaborateurs ont sans doute eu du mal à exister. Pourquoi faire cette comparaison ? Tout simplement parce que ces deux-là vont bientôt fêter leurs trente ans de mariage...