C'est quand même fou comme l'esprit associe la musique à certains souvenirs. Personnellement je n'y échappe jamais. Johnny Clegg, c'est la route pour aller chez les grands-parents ; Bob Marley les vacances en Dordogne avec mes vieux ; The Pogues les séjours en Normandie... Heureusement que mes parents avaient du goût, ça m'aurait ennuyé d'avoir à chaque fois les Musclés en tête en allant dans les Côtes d'Armor ! Bref, tout ça pour dire que principalement deux artistes ont marqué mes années étudiantes dans la chaleureuse ville de Brest : Massive Attack et DOM DUFF. Ho non, aucun rapport entre les deux, ni musicalement, ni linguistiquement, ni encore moins financièrement, mais bon c'est comme ça, qu'est-ce t'y feras ? Et en réfléchissant bien, s'il n'y avait qu'un seul choix à faire, c'est bien un des albums du gars Dom que j'emporterais sur la foutue île déserte.

Lequel ? [E-unan], sans hésiter. Tout est dans le titre, « e-unan » signifie « en solo » ou « lui tout seul ». Quoi de plus normal que d'emmener un tel disque sur l'îlot pommé, il était prédestiné pour ça. Et comme la solitude c'est plutôt chiant et déprimant, notre Léonard préféré a eu la bonne idée de nous concocter un album qui au contraire file une sacrée patate et vous promet un sourire béat pendant toute sa durée.

[E-unan] a été enregistré live dans plusieurs villes de Bretagne (Carhaix, Vannes, Quimper et Roscanvel) mais aussi en Irlande à Dublin, lors de concerts en solo pour le musicien breton. Et quels concerts ! Quelle énergie ! Quelle passion ! Comme si, « libéré » des autres instruments normalement présents en studio, DOM DUFF se sentait obligé d'en faire plus. Et bien lui en a pris, E-unan régale. Guitare et chant rivalisent de puissance, l'heureux auditeur voguera de mélodies magnifiques (« Aelig Gwenn », « Kenatchao », « Kiger San Wazeg ») en de morceaux plus musclés, où les cordes frisent de joie (« Kig ha Farz », Straed an Amann »). Le Pagan s'autorise aussi quelques digressions plus inattendues, la fière « Oad an aod » chantée sans guitare mais au bodhrán, ou bien cette ballade de naufragé, « Peñse ar C'henavo », belle dans toute sa gravité. L'électricité (la vraie) est ici presque absente, mis à part sur l'excellente « An Dañs Veur » qui prévoit déjà « Bitter Lands of Llydaw » quelques années plus tard.

Cerise sur le kig ha farz, la moitié des morceaux sont absolument inédits et toujours de très bonnes surprises. On prendra particulièrement bien sa giroflée avec l'immense « War Bont an Aber », pour laquelle même le plus granitique des hommes ne saurait retenir ses convulsions rythmées - et dont je n'en suis toujours pas revenu. Plus loin, « Se si hi eo » transgresse la règle du « e-unan » en invitant père et fils O'Snodaigh pour achever ensemble le disque dans la bonne humeur, la danse et la rencontre entre langue bretonne et gaélique irlandais. Les amateurs de ce genre d'exercice pourront d'ailleurs se rabattre sur les quelques chansons des Brythonics présente sur le oueb, projet dont l'on espère un jour un album.

[E-unan] est un des plus grands live du folk breton. J'déconne pas. « Bof, c'est un disque fait à la va-vite » avait lâché l'intéressé lors d'un passage au Ty Anna de Rennes, guère aussi convaincu de la valeur de son rejeton. Heureusement que l'opinion du public compte plus que celle de l'artiste hein ! Parce que des « fait à la va-vite » comme ça, on en veut tous les jours. Vous là, qui cherchez peut-être encore à comprendre le sens de cette drôle d'étiquette de « power folk », allez donc jeter vos écoutilles là-dessus et prenez-en plein l'ouïe ! Baom ! Et je peux vous assurer que l'album restera longtemps, longtemps, près du lecteur CD. « Ne cheñcho ket », ça ne changera pas !

À écouter absolument : « An Dañs Veur », « War Bont an Aber » et « Kig ha Farz »