Qu'il est satisfaisant de voir ses prédictions se vérifier. Puisque rien n'est plus incertain que l'inspiration, nous nous avancions timidement en conclusion de notre chronique de Manufacture du Temps, précédent album d'EPSYLON, à espérer une confirmation pour ces nouveaux espoirs du rock celtique francophone en passe de devenir les maîtres du genre.

Deux ans plus tard, nous ne nous sommes pas trompés. Avec 10 ans de carrière au cul, le groupe vendéen prouve brillamment que, après la terrible chute de Merzhin, il est actuellement l'unique représentant d'un rock enlevé, énergique et bariolé, mêlant distorsion et sonorités celtiques. La prouesse, puisque c'en est une, prend corps sur Ouvrage du Coeur, quatrième offrande du groupe. Débarrassons-nous tout de suite des influences. Il y a du Noir Désir ici ou là, bien sûr, cela s'entend essentiellement sur le rageur "Feu et fièvre" et son riff mordant. Il y a du Louise Attaque, ici où là ("Requiem"), et une petite dose de Matmatah. Mais surtout, et avant tout, il y a une identité propre, celle d'un groupe qui, au fil des années, a su grandir et s'accomplir jusqu'à proposer cette savoureuse collection de titres imparables.

Ce nouvel opus est d'une pureté mélodique évidente, du même acabit que la réalisation précédente du groupe. Mais il y a du "plus" : plus de rock, plus de sonorités celtiques (bombarde, accordéon), plus d'énergie. Sans être écrasantes, les guitares se font très présentes et donnent à l'album un visage brut de décoffrage : "Mes nuits" ou encore "Écorches", titre consacré aux attentats de novembre dernier doté d'une belle montée en intensité, témoignent de cette envie du groupe d'évoluer dans des ambiances plus directes et efficaces.

C'est une réussite, accomplie par une alchimie savoureuse entre un chant habité et un bel habillage instrumental. Mais c'est surtout la splendeur des mélodies qui fait de cet album un vrai grand moment de musique. "D'un monde à l'autre", bien aidé par des paroles poétiques, bénéficie de splendides lignes, portées tour à tour par le violon, la bombarde et l'accordéon, la guitare électrique servant de soutien à la section rythmique. Un moment de bonheur intense et porteur d'émotions complexes, tout comme l'est "Requiem" et son refrain dantesque, que l'on reprend à gorge déployée (un futur grand moment en concert). Son break "sombre", placé juste avant le dernier refrain, apporte une profondeur supplémentaire à ce titre à la fois riche et immédiat. Et puis, il y a cette délicatesse folk du titre final, "Ouvrage du coeur", à la fois mélancolique et entraînant. Accordéon et banjo apportent une touche supplémentaire d'authenticité à ce morceau à la fois original et marquant.

Une légère réserve ? Elle concerne "Automne", dont les paroles un peu trop simples peinent à soutenir une mélodie qui, pour sa part, manque de substance. Ce sera tout. Car dans sa globalité, Ouvrage du Coeur est un album très chaudement recommandable de la part d'un groupe qui, non content de confirmer les espoirs placés en lui, s'affirme comme une puissance mélodique que devraient prendre en exemple tous les aspirants rockers francophones. La musique pleine et entière d'EPSYLON dévoile ses atours sur cet album bariolé, à la fois caresse et claque. Imparable.