Il suffit d’une mauvaise grippe, d’un poignet cassé qui ne veut pas se rétablir, d’une saleté de toxoplasmose congénitale qui vous brouille la vue d’un œil et vous contraint à vous gaver de cortisone pendant des semaines, pour voir son monde sombrer. Soudain les idées noires émergent et votre enthousiasme naturel s’effrite. On dit que l’argent ne fait pas le bonheur, mais la santé est sinon indispensable, une composante qui y contribue fortement. Ces maux qui vous rappellent constamment que votre esprit est enchaîné à une enveloppe corporelle capricieuse, aspirent votre énergie vitale, comme un vampire hypnotique qui vous suce le sang, monopolisant votre esprit et brisant votre échine. L'impétueux …Like Clockwork est un album qui a mal.

En effet, Josh Homme en 2011 est victime de complications suite à une opération du genou, accident qui le contraint à rester cloué au lit durant 4 mois et l’entraîne dans une dépression. Les autres membres des QUEENS OF THE STONE AGE vont l’encourager à travailler à un nouvel album (et dans la foulée réenregistrer et ressortir le tout premier). Le frontman les invite pour ce faire à le rejoindre dans ce trouble de la pensée, dans ce questionnement perpétuel de la mécanique du corps qui ne fonctionne plus… comme les rouages d’une pendule qui s’est arrêtée. …Like Clockwork est un album nourri par le mal.

Depuis les folies d’Era Vulgaris, on pouvait se demander ce qu’il était advenu de Q.O.T.S.A. Josh Homme, besogneux, n’a pourtant pas été avare en sorties entre les EAGLES OF DEATH METAL et THEM CROOKED VULTURES, 2 side-projects que les fans de Q.O.T.S.A auraient tort d’ignorer (surtout le second). Mais depuis 2007, la question se posait, les reines de l’âge de pierre étaient-elles encore vivantes ? …Like Clockwork répond un tonitruant 'oui' malgré le mal qui le ronge.
Torturé et tortueux, cet album viscéral gangrène vos oreilles, souille votre âme et vous plonge dans des abysses d’angoisses. A l’écoute de "Keep Your Eyes Peeled" l’enthousiasme des EAGLES OF DEATH METAL n’est plus qu’un souvenir lointain, la douce folie d’Era Vulgaris ayant laissée des traces qui se sont mutées en schizophrénie. …Like Clockwork est un album qui fait mal.

Les QUEENS OF THE STONE AGE empruntent ici aux codes du grunge et du gothique. Quand l’album verse dans la pop, elle est sale et indécente. Cette ode à la solitude et au désœuvrement est paradoxalement blindée de contributions. De nombreux membres historiques sont venus prêter main forte (Alain Johannes, Mark Lanegan, Nick Oliveri), même Dave Grohl reprend sa place derrière les fûts après le départ de Joey Castillo, avant le recrutement de Jon Theodore. L’album se paye ainsi le luxe de voir 3 batteurs différents se succéder.
En outre, d’autres contributions notoires sont à porter au crédit de …Like Clockwork. Les barres de piano à la Elton JOHN qui subliment les envolées de "Fairweather Friend", c’est bien lui-même qui vient les apposer. Plus subtil, le va-et-vient sexuel discret teinté de nappes saturées et de respirations qui pare "Kalopsia" est la touche de Trent Reznor (NINE INCH NAILS). On ne les citera pas tous.

Au milieu de ce kaléidoscope aux teintes de gris, on aimerait insister quelques lignes sur des titres qui sortent du lot. Un exercice dangereux, qui tendrait à faire croire que le rythme lascif et dangereusement lubrique de "If I had a tail", une chanson pour les filles, aurait plus d'atouts que d’autres. Puis déboule "My god is the sun", un véritable tube qui vous fait immédiatement douter de vos certitudes quant au précédent. Seule "I appear Missing" dégage peut-être la petite touche de génie en plus, la magie des clôtures d'album réussies. Après la flopée de balades dont se pare l'album, on pourrait croire que ce ralentissement en profondeur serait dommageable, mais non. Chaque fois, ces litanies dépressives se font plus touchantes et plus personnelles. Impossible de ne pas succomber.

A l’image de Hail to the Thief (RADIOHEAD) ou de Wasting Light (FOO FIGHTERS), en résulte un album pot-pourri marqué à la fois par la personnalité de la formation et les voies multiples et variées qu’il emprunte. …Like Clockwork se déguste à toute heure, est complet, complexe et varié. Cet album éclectique qui brasse tous les genres du rock alternatif s’avère déconcertant pour les puristes d’une lignée (imaginaire ?) qui s’est travestie après la sortie de Songs For the Deaf. Les amateurs de variété, au vrai sens du terme, y trouveront un chef-d’œuvre qui possède malgré ses apparences trompeuses une vraie ligne directrice. Aux antipodes des facilités creuses de Lullabies to Paralyze, …Like Clockwork propose au contraire toutes les couches de subtilité nécessaires aux grands albums. C'est plus qu’un album 'pas mal'.