Denez PRIGENT a pris son temps. Douze ans. C’est long, douze ans sans Denez PRIGENT. On a écouté autre chose entre-temps, c’est sûr, mais ça manquait, voilà. On avait même un peu peur qu’il eût perdu la main, à force. Mais non, il est toujours le même, comprenez « talentueux ». Il se fait appeler Denez désormais, juste Denez. Un prénom, c’est tout. C’est sans doute un peu bête, mais après toutes ces années à s’émerveiller de ses chansons, on est content de pouvoir être familier.

Ul liorzh vurzhudus, « un jardin merveilleux » est son cinquième album. Il en a composé tous les morceaux lui-même et il y chante seul. Des musiciens l’accompagnent, bien sûr, mais à chaque seconde, on sent que ce jardin-là, c’est sa chose, son âme et ses tripes qu’il a gravées sur disque. Les boucles électroniques se sont fait la malle. Les arrangements, superbes, servent d’écrin à la voix, cette voix inimitable qui semble produire des émotions pures plutôt que des sons.

Dès les premières notes de « Krediñ ‘raen », on comprend ce que ce jardin a de « merveilleux ». Les influences orientales, la musique bretonne, la musique irlandaise, s’entrechoquent dans un tourbillon d’instruments. Denez le chante lui-même sur le morceau suivant, « beajet ‘m eus », « j’ai voyagé », et ça s’entend ! Dansant, profond, martial, mélancolique, cet album est tout cela à la fois, et c’est comme si on apprenait à le connaître à chaque nouveau tour de disque.

Chacun y puisera ses chansons préférées. Entre la sautillante « An tedoù fall », l’espiègle « An tri amourouz », ou la lancinante « Gwechall gozh », il y a de quoi hésiter longtemps ! Heureusement, deux sommets semblent avoir mis tout le monde d’accord. « Eostig Kerchagrin », d’abord, un titre agrémenté d’une mélodie entraînante, tour à tour triste et exaltant. Le violon, l’accordéon et la bombarde tissent une atmosphère pleine d’une douce mélancolie, dans un registre assez inhabituel pour l’artiste.

Sur « An tri seblant », en revanche, Denez PRIGENT renoue avec un genre qu’il maîtrise à la perfection, la gwerz. Celle-ci conte les mésaventures de Kolas et Rozenn, mariés dans la mort. Le chant, plus grave qu’autrefois, est d’une force incroyable, en particulier dans la dernière partie du triptyque, où le prêtre enterre les deux amants. Le kan ha diskan, n’est pas en reste, avec deux très belles réussites comme « Peñse Nedeleg » et « Ar binioù skornet », où l’on s’éloigne des côtes bretonnes pour gagner l’Irlande, voire des rivages plus lointains encore !

La langue anglaise est à l’honneur sur « An old story », qui n’est autre qu’une adaptation de « Gwechall gozh ». Cette dernière, de même qu’« An trucher hag an Ankoù », puise son inspiration dans les contes bretons, où la mort tient une place si importante. De l’autre côté du spectre, certaines chansons adoptent un ton plus lyrique, comme « Krediñ ‘raen » et « Beajet ‘m eus », qui disent « je » jusque dans leur titre.

A la fois personnel et universel, Ul liorzh vurzhudus est de ces albums qui font date. C’est un travail de composition et d’interprétation remarquable, preuve une fois de plus que Denez PRIGENT est l’un des artistes les plus doués de sa génération. Douze ans d’attente pour un chef-d’œuvre, c’est somme toute un marché honnête.