Prosperous est, officiellement, le deuxième album de Christy Moore, mais connait une vraie diffusion large, contrairement à Paddy on the Road (1969). De plus, le chanteur, espérant mieux imposer l'identité irlandaise musicale en Grande-Bretagne, travaille un nouveau son. Un groupe de trois musiciens fait plus que l'accompagner simplement : il s'agit de Dónal Lunny (ami d'enfance de Moore), d'Andy Irvine (partenaire musical de Lunny) et de Liam O'Flynn (sommité des festival folk). Sans le savoir encore, PLANXTY est né !

Ce groupe magique et essentiel, qui va décupler la popularité de la musique folk irlandaise aux côtés des CHIEFTAINS et des DUBLINERS, pour l'heure n'est qu'à moitié représenté. L'album Prosperous reprend le nom d'un village du comté de Kildare, à l'est de l'Irlande, où Christy Moore réalise l'enregistrement, chez sa propre soeur.

Cette intimité, il ne s'en débarrasse pas complètement donc, surtout lorsqu'il veut rendre hommage à Woody GUTHRIE, quitte à passer par la case Bob DYLAN, ce que certains Irlandais puristes reprochent à ce disque. "The Ludlow Massacre", avec son texte déchirant et son picking de guitare lumineux pourtant, se laisse plutôt bien écouter, en grande partie grâce à l'interprétation de Moore il est vrai, tout comme le "Tribute to Woody" de DYLAN.

On voit néanmoins une différence entre les Américains et les Irlandais, ces derniers étant doublement capables de faire passer un message en usant de subilité et de proposer des mélodies fines, répétitives peut-être, mais en donnant moins l'impression de textes scandés. Ainsi, "Spancill Hill" reste-t-il en tête mieux que les airs outre-Atlantique, alors qu'il vient de là lui aussi : Michael CONSIDINE, qui l'a écrite au XIXème siècle, ayant immigré à Boston comme beaucoup de ses compatriotes, se remémore ici son enfance, ses amours, les terres vertes de son Irlande natale...

Un classique, bien servi par les arrangements guitare acoustique-bouzouki-mandoline, dans l'ordre Moore-Lunny-Irvine donc. C'est la base du son PLANXTY, et il ne manque qu'un élément, heureusement présent ailleurs : la cornemuse de Liam O'Flynn, dont le son diffère de celui de Paddy Moloney des CHIEFTAINS grâce à sa précision, une brillance pas moins forte. On parlait du chant de Christy Moore, il est en effet le digne meneur du "Raggle Taggle Gypsy", un chef d'oeuvre d'adaptation pour un morceau traditionnel.

La verve incroyable du chant, le trio de cordes magiques susmentionné et survolé par la cornemuse amène un autre standard, "Tabhair Dom Do Lámh" ("Give Me Your Hand"), instrumental celui-là. C'est une manière exemplaire pour le groupe de faire rentrer dans le patrimoine moderne irlandais les compositions du harpeur aveugle Turlough O'CAROLAN, qui a vécu au XVIIIème siècle. Efficacité, sensibilité, autant de mots peuvent décrire sa musique qu'il dédiait souvent à ses mécènes et hôtes bienfaiteurs ("planxty" comme il les appelait, tiens tiens...), c'est une réussite totale. Moore, Irvine, Lunny et O'Flynn montrent ici la force de leur camaraderie et ils ont beaucoup à apporter.

Sur Prosperous, il n'y a pas encore d'exemple aussi parlant que ce début merveilleux, mais Moore, aidé ponctuellement par Irvine et Lunny, réserve d'autres belles surprises. O'Flynn revient pour un "Cliffs of Dooneen" délicat et magnifique. "The Dark-Eyed Sailor", pour ne citer qu'elle, est lumineuse, douce, splendide. La voix fait merveille, la concertina de Dave Bland également, sur ce traditionnel.

Et puis il y a la face politique, car Christy Moore, fils d'Irlande très engagé à gauche et anti-impérialisme britannique, en fait part dans ses chansons ; ce qui explique ensuite la division entre sa carrière solo et celle de PLANXTY. Il reprend la chanson hommage du poète Patrick Galvin (originaire de Cork) à James Connolly, un Ecossais qui a été l'un des principaux acteurs de la révolution irlandaise au début du XXème siècle.

Plus que le message encore, la voix de Moore est un sortilège puissant. Il est encore dans ses jeunes années, beaucoup aujourd'hui peinent à le reconnaître d'ailleurs ! "Lock Hospital" et "I Wish I Was in England" (écrite par Moore) sont excellentes elles aussi, chantées du point de vue du soldat et sur un fond guerrier, avec quelques tâcles à l'armée britannique. Andy Irvine y perpétue la touche américaine grâce à l'harmonica. Parmi les musiciens, on rencontre encore Kevin Conneff au bodhrán, futur membre des CHIEFTAINS.

Prosperous est le premier disque édité par le label Tara Records, crée par John Cook et Jack Fitzgerald, devenu spécialiste de la musique irlandaise et de best-sellers (PLANXTY, CLANNAD, Shaun DAVEY, Rita CONNOLLY, STOCKTON'S WING...). Pour l'heure, Christy Moore est encore peu connu chez lui mais les choses vont vite changer !