Tous les fins connaisseurs de musique folk irlandaise (pour ne point généraliser) vous diront que les trois premiers albums de PLANXTY, produits par Phil COULTER et tous distribués par Polydor (puis Shanachie), sont des essentiels.

The Well Below the Valley, deuxième disque publié en cette année 1973, est d'abord enregistré dans le comté du Kent, le "jardin anglais" situé au sud-est de l'Angleterre, peut-être le plus éloigné de l'Irlande, même si sur une carte des îles britanniques, cela se joue avec ceux du West Sussex, du Suffolk et du Norfolk (à la pétanque, on sortirait le fil pour mesurer).

Ce disque à la pochette attrayante contient certaines des meilleures chansons interprétées par Christy Moore et Andy Irvine, reprises de traditionnels évidemment. Seule "Time Will Cure Me" laisse place à davantage de création car composée par Irvine. Il y chante d'ailleurs en falsetto cette mélodie mystérieuse et mélancolique, joue de sa mandoline comme d'une harpe celtique ; avec les tin whistles en fond, cela vous donne une idée de la beauté des arrangements apportés à des airs déjà fort marquants.

Irvine interprète également sa propre version de "As I Roved Out", une chanson connue grâce à Paddy TUNNEY, grande influence pour lui, et que ce dernier tient lui-même de sa mère. Rattachée au monde paysan et ayant dans d'autres versions "The False Bride" pour titre, elle renvoie à une époque où l'on se mariait en Irlande (entre autres pays) plutôt pour la terre que par amour. Le chant doucereux d'Irvine et l'arpège lumineux, la façon dont l'harmonium se pose ensuite rend le tout merveilleux, hypnotique.

Christy Moore propose plus loin sa propre reprise de la chanson, plus légère et rythmique, dans une verve toute irlandaise. Avec son accent prononcé de trèfle à quatre feuilles, ses "diddly doo de diddly deedle dee", c'est lui qui introduit un si bel ensemble avec "Cúnla", dialoguant gaiement sur un rythme jig avec la cornemuse de Liam O'Flynn.

Moore se réserve également la pièce la plus dense de l'album, "The Well Below the Valley". C'est une chanson très ancienne, inspirée par la Bible, qui met en scène un pèlerin ("a palmer") demandant à une jeune femme de lui offrir un peu d'eau de son puits ("well"). Elle lui répond qu'elle n'en a point, de fil en aiguille et en mensonges, il l'accuse d'avoir assassiné les six enfants qu'elle a mis au monde.

De nombreuses versions ont vu le jour à travers les siècles et le pèlerin serait Jesus en personne, les enfants de la femme seraient nés de l'inceste. À la fin de l'histoire, la femme doit subir la lèpre pour sept années, avant de se voir condamnée à l'enfer. Une de ces chansons macabres coutumières dans la folk anglo-celtique, ici particulièrement forte avec une marche à trois temps lente répétitive, le leitmotiv de Moore "oh, the well below the valley-o" et son bodhrán... De l'autre côté du canal Saint-Georges, STEELEYE SPAN fait de même en plus rock au même moment.

Le reste de l'album contient des textes sombres aussi mais parfois traités avec légèreté, Andy Irvine s'exécutant lui-même sur "Pat Reilly", message anti-militariste simple à saisir. "Bean Pháidin" est une jig chantée par Dónal Lunny dont la fin instrumentale emploie sans la créditer la mélodie très connue de "Rakish Paddy".

Les danses en medleys sont une belle occasion pour Liam O'Flynn de peaufiner davantage ses arrangements. Plus que la virtuosité, ce qui nous enchante dans son jeu et qui illumine le son de PLANXTY (au même titre que les voix et le duo bouzouki/mandoline), c'est sa tendance à s'harmoniser lui-même grâce aux bourdons. Sur "An Phis Fhliuch", la cornemuse est suivie de près par le bouzouki. La valse "Hewlett" et le hornpipe "Fisherman's Lilt", en plus d'airs glorieux, sont de splendides tubes. Bienvenue en Irlande !