Au milieu des années 90, Gwenael KERLEO devient Premier Prix du conservatoire de Brest, mais la rigueur classique n'a point trop cours dans l'oeuvre d'une jeune Brestoise qui joue de la harpe celtique, sinon pour le haut niveau de musicalité (y compris dans l'arrangement) et le sentiment d'avoir quelque chose de précieux à apporter dans tout ce qu'elle peut faire.

Cela s'entend dès les premières notes jouées par Gwenael KERLEO sur le premier enregistrement de sa carrière artistique. Tir Na Nog (1994), nom donné à l'une de ses compositions en hommage au paradis gaélique, terre de l'éternelle jeunesse, sort au format cassette audio et connaît un petit circuit de distribution.

Le disque s'ouvre comme il se ferme, avec la mer, le chant des vagues, pris sur une plage de la côte des Légendes (nord-ouest du Finistère). La côte des Légendes, pour une personne pragmatique, cela peut paraître simple lorsqu'on parle de musique celtique, de musicienne avec une harpe, mais quand on aime autant, comment résister ? D'autant plus que la fée Gwenael, du haut de son jeune âge, sait déjà bien la meilleure façon de raconter de belles histoires !

Des histoires que mademoiselle KERLEO écrit elle-même parfois, comme le morceau-titre "Tir Na Nog" où de beaux arpèges semblent annoncer l'arrivée au paradis celte, l'extase de la découverte, avant de connaître un développement royal, puis "exotique". L'artiste en profite pour nous montrer que la musique africaine l'accompagne depuis son enfance où elle a vécu sous d'autres rivages, loin de la Bretagne.

Comme aussi le splendide tableau des "Naufragés du pays pagan", autre composition originale. Les arpèges coulés lents peuvent illustrer les vagues poussant ces naufragés sur une île inconnue. Ensuite, les harmoniques suggèrent leur hésitation en voyant la terre qui les entoure, puis, au moment le plus élancé, l'envie de la découverte ! "Les korrigans", un morceau animé à l'image des lutins des légendes, et la ballade "Aïcha" s'achèvent par des danses irlandaises du plus bel effet.

Le seul morceau à proposer un autre type d'orchestration reste "Yeun elez", une composition de Muriel Isambert jouée à l'accordéon et au violoncelle en priorité, avec un peu de harpe. On apprécie l'arrangement oriental, même si l'effort se trouve isolé. Dans les curiosités, citons également une version adorable de "L'écolier assassin", pièce maîtresse du folklore français que MALICORNE avait si bien immortalisée en 1976 sur l'album Almanach. Au lieu de neuf couplets avec passages instrumentaux, il y en a ici quatre, et nous découvrons une voix fine, celle de la fée, avec bonheur.

Emprunté à la tradition bretonne, "Ar c'hakous" se construit autour des éléments naturels l'océan et le vent passant dans les cordes, puis des petites notes à la main droite précèdent l'entrée de la gauche pour une gwerz fort jolie, empruntée à la tradition. Gwenael KERLEO possède un toucher à la grande pureté, comme en témoigne son interprétation de "An hader", même si elle tient à y mettre de sa fougue également. Une mélodie celtique dans toute sa splendeur, enivrante...

Il y a aussi des "tubes", les complaintes respectivement irlandaises et bretonnes de "Brian Boru" et "Marv Pontkalleg". Cette dernière garde l'arrangement de Denis Mégevand (avec quelques notes aiguës en plus), le professeur de harpe d'Alan STIVELL. On ne peut s'empêcher d'établir un parallèle entre la superbe version de "The King of the Fairies" ici, qui retrouve des racines proches de la country irlandaise, et celle de l'Olympia 72 qui sonnait plus jazz avec la batterie de Michel Santangeli !

STIVELL, écouté par Gwenael KERLEO depuis toujours, est aussi présent grâce à la "Suite irlandaise", adaptation de la traditionnelle "Morrison's Jig", un bijou de son début de carrière discographique et bien connu de tous. Mais la fée qui connaît ses classiques ajoute un petit morceau de "Airde Cuan", extrait de l'album Renaissance de la Harpe Celtique (1972). Elle est pleine de ressources, et même méconnue, cette cassette le montre bien !