On se souvient des chansons de toile, rappelant les femmes qui travaillaient durant le Moyen-Âge et fredonnaient ces textes d'histoires. Une imagerie qui éveille facilement certaines sensibilités, notamment lorsque l'intérêt personnel se rapproche du Nord de la France et de la Bretagne, dans un contexte littéraire ou musical.

Yelen, troisième de Gwenaël KERLEO, est un album de toile, ou album de chansons de toile, comme vous voudrez. Sachez seulement qu'il ne contient aucune parole, uniquement des « histoires sans paroles », sauf si l'on considère une autre forme de langage. En effet, ici, la jeune harpeuse fredonne en s'accompagnant de son instrument, quand celui-ci n'est pas entièrement seul.

Yelen réussit le double pari d'être à la fois l'album le plus intime de Mademoiselle KERLEO et de lui apporter la consécration, au-delà des frontières françaises. Tout amateur de musique bretonne, de harpe celtique et de voix féminine atteindra un sentiment de félicité, de grâce pure à travers ces morceaux, ou devrait-on dire ce long morceau puisque chaque partie, air ou danse, est enchaînée avec la suivante.

C'est comme une histoire qui nous est récontée, un voyage dans l'imaginaire d'une femme, une journée de paysanne ou de dame noble à une époque désormais lointaine. Un idéal féminin se développe au cours de ces quelques quarante minutes de musique, favorisé certes par l'élégance et l'invitation au rêve d'un autre temps, mais à la fois bien réel également, puisqu'il fallait pour cela le savoir-faire d'une artiste talentueuse.

Sa voix se fait aussi caressante que ses doigts qui courent sur l'instrument, en véritable fileuse dont l'ouvrage ici est simplement constitué de cordes en boyau. Gwenaël KERLEO, dont la création est avant tout instinctive, laisse ses émotions s'exprimer d'abord à la harpe, le plus galamment possible, avec des hésitations, des respirations... C'est d'une poésie, d'une beauté à couper le souffle, et qui offre un doux sentiment d'évasion, de méditation, tellement loin des soucis du quotidien.

On s'émeut autant lorsque la voix s'ajoute à ces arpèges délicats, comme sur « Gwrizioù », « Sell Diabarzh » et « Lenn-Vor », tous merveilleux. Mademoiselle KERLEO se contente pourtant d'une seule voyelle sur tout le disque, le « o » typique du fredonnement, avec toujours la même spontanéité. Elle parvient ainsi à conserver un timbre clair et aéré, sachant qu'elle est aussi connue sur ses autres albums pour son chant particulier, comme si Véronique SANSON était brestoise.

D'un autre côté, l'artiste quitte parfois la Bretagne et nous évoque sa plus tendre enfance à Abidjan, en Côte d'Ivoire, puis sa rencontre avec la kora, parallèlement à celle de la harpe celtique. Ainsi, les premières envolées instrumentales de l'album révèlent des élans techniques et émotionnels qu'une harpe africaine pourrait également retransmettre. On perçoit en outre sur quelques morceaux les influences jazz de Gwenaël KERLEO : « Kezeg ar Mor » et « Kejadenn », ce dernier étant aussi un standard du harpeur Myrdhin.

Mais le fait de dégager quelques chansons (car elles en sont bel et bien, encore une fois) n'enlève évidemment rien à la cohérence ni à la cohésion de l'ensemble. Yelen est un disque, une histoire qui s'écoute d'une seule traite. Sa simplicité et son raffinement n'ont d'égale que l'émotion qu'il procure à l'auditrice et à l'auditeur, et l'envie d'y revenir le plus souvent possible.