Le BUTTERFIELD BLUES BAND est un groupe auquel on ne songe pas immédiatement quand on se projette dans le bouillonnement créatif des 60’s. Et pourtant…

Premier groupe multicolore avant LOVE, il a joué un rôle essentiel dans l’expérimentation des années soixante. Avec des musiciens issus de divers horizons, le batteur Billy DAVENPORT ayant un background jazz, le chanteur/harmoniciste Paul BUTTERFIELD et le guitariste Mike BLOOMFIELD étant plus issus du blues, le groupe a replacé le blues sur l’échiquier musical en le redéfinissant et en le fusionnant à d’autres genres comme la musique latine, le jazz, l’avant-garde et le raga indien, qu’ils ont d’ailleurs bien mieux représentés que les maladroites tentatives des BEATLES ("Within You Without You").

L’aboutissement de ces recherches est le titre "East-West" sur l’album du même nom sorti en 1966, chroniqué avec force brio dans ces colonnes par Erwin. Je ne partage toutefois pas son enthousiasme sur l’ensemble de la galette, mais je dois reconnaître et apprécier la réelle qualité de la composition en elle-même.

"East-West" a été amené par Mike BLOOMFIELD en 1965 après un trip au LSD toute une nuit durant. Le claviériste du groupe, Mark NAFTALIN, raconte que « quand Mike a émergé à l’aube, il a eu une révélation concernant la musique indienne ». Intitulée "The Raga" au départ et basée sur un drone, la chanson est une improvisation de groupe constituée d’une suite de sections instrumentales sur un rythme initial de bossa nova, préfigurant ainsi les futurs travaux de SANTANA. Même s’il ne chante pas, BUTTERFIELD est essentiel dans l’ombre pour « unifier les choses » via des chords, des mélodies ou solos à l’harmonica ou des contre-points. "East-West" est devenu l’emblème de ce que l’on a nommé « la révolution rock de la côte Ouest » en présentant des larges parties improvisées pouvant parfois culminer une heure en concert, jouant ainsi un rôle central dans l’avènement tout proche du rock psychédélique et de l’acid rock représenté par GRATEFUL DEAD ou toute la scène de San Francisco.

Cet album live, sorti seulement en 1996 mais issu d’enregistrements d’époque personnels de NAFTALIN, à la qualité sonore tout à fait honorable, présente 3 versions aux durées croissantes de "East-West" immortalisées en concert entre 1966 et 1967. Très amples et libérées de toute contrainte temporelle (la troisième enregistrée au Golden Bear de Huntington Beach frise la demi-heure), les compositions se développent, s’amplifient jusqu’à se replier sur elles-mêmes, avec une assise rythmique impeccable, des murs de son impressionnants et des duels de guitares aussi éléphantesques déjà que celles du grunge ou du post-punk, voire du noise rock, qui ne sont pourtant pas encore dans les tuyaux. On songe aux sept premières minutes donnant le ton ou au premier quart d’heure surpuissant de la troisième version, annonçant déjà les embardées incontrôlables et milléniales des SWANS ou la recherche sonore de SONIC YOUTH.

Si l’expression « free rock » devait être matérialisée, nul doute que "East-West" en serait une illustration adéquate. Une écoute essentielle pour tout amateur de musique improvisée, de blues, de rock ou simplement d’histoire.