NDLR: Boyd Rice soutient des thèses inspirées du darwinisme social et du fascisme, qui en font un artiste controversé, voire persona non grata, dont nous préférons vous informer ici. L'équipe s'est trouvée bien divisée sur le sujet. Provocation ou véritable activisme politique, l'ambigüité fait partie intégrante de son oeuvre. Ce n'est que par intérêt encyclopédique que l'artiste a donc fait l'objet de cette chronique, non pour essayer de trancher sur la question.

Bien plus qu’un simple national-socialiste amoureux de culture hawaïenne et fervent défenseur de Charlie Manson, Boyd RICE est avant tout une obscure synthèse de son époque. Un homme de son temps en négatif, si vous préférez.

Né dans le Colorado des années 50, le futur représentant unique de la marque NON grandit, comme des millions d’Américains de son âge, dans une société parfaitement saine, humaniste et capitaliste où les charmes de la 'bubble gum music' et les vrombissantes automobiles made in Detroit font écho aux frappes préventives et démocratiques contre les ennemis communistes. Parallèlement à cette vague de front, s'élève une vague de fond, psychédélique ou en tout cas fortement influencée par le symbolisme hindou, le marxisme baba cool mais tendance chinoise tout de même et les substances illicites en vente libre au Mexique.
Ces deux utopies, contradictoires en apparence seulement, se sont soldées l’une par une piteuse défaite au Vietnam et l’autre par un massacre commis au 10050 Cielo Drive, par une chaude nuit d’été.

Boyd RICE est l’enfant de ces deux visions parfaitement complémentaires de l’Amérique des 30 glorieuses. Comme une farce et attrape placée sous le cul de l’arrogante histoire. Sa musique n’est pas musicale dans le sens accordé par l’industrie du disque (du moins pas celle qui ne considère comme valable que les disques qui se vendent massivement) ainsi que par l’académie des bonnes âmes. Mais elle est parfaitement en symbiose avec le non-dit de toute une époque.

Musique expérimentale, comme toute musique digne d’intérêt à l’époque, mais dont le but est de créer des boucles, uniquement. 'Des boucles' c'est-à-dire : une forme de cocon musical où l’auditeur se sent en sécurité, comme un psychotique dans sa bulle. Certes, les boucles ici présentes sont les fragments d’os de ce que NON deviendra à force de régime carnassier et, il faut bien le dire, de travail.

L’attrait principal de ce disque tout à fait original est d’être troué juste à côté de son centre. Concrètement, les 17 pistes de l’album peuvent être jouées à n’importe quelle vitesse et pendant des heures, voire des jours entiers (enfin jusqu’au court-circuit général, à moins que vos voisins ne pètent un câble bien avant).
La durée de l’album est donc pleinement relative, tout comme son appréciation générale. Puisque n’importe quelle boucle de cet album peut s’écouter en boucle et à n’importe quelle vitesse, l’auditeur, selon son humeur du moment, à le choix, par exemple, entre le son, momentanément salvateur mais sur le long terme assez irritant, d’un marteau piqueur qui martèle sans cesse, ou alors du même son mais ralenti au point de signifier quelque chose de profondément autre, comme la roue d’un vieux moteur hydraulique vermoulu et encombré de déchets organiques – et qui tourne sans cesse.

A écouter en version cd ou mp3, d’une traite, le disque est franchement, même pour un dur de chez dur de l’indus pur, rébarbatif. Il l’est moins lorsqu’on le resitue à sa juste place dans l’espace-temps. Cette chose est clairement expérimentale et, à vrai dire, elle n’est rien d’autre.

Pagan Muzak, le très bien nommé, mérite amplement de figurer dans le top 10 des albums les plus originaux de tous les temps pour la simple et bonne raison que son format-même n’est pas celui d’un album normalement pressé.
Il demeure cependant anecdotique dans le sens où la plupart des boucles proposées ici seront recyclées, parfois brillamment, dans les prochains méfaits de NON.

Le cauchemar ne fait que (re)commencer.