Le contrat des STAPLE SINGERS avec Vee Jay Records a pris fin depuis un an. Roebuck Staple et ses gosses ont signé un accord avantageux avec Riverside, firme spécialisée dans le Jazz. Tel le renard de la fable qui jure qu’on ne l’y reprendra plus, le label chicagoan qui s’est fait bêtement chiper son plus gros vendeur en matière de Gospel décide de publier un disque avec d'anciennes bandes, après tout autant rentrer dans ses frais.

Il ne faut pas être sorti de la cuisse de Jupiter pour comprendre ou imaginer à quel répertoire on va être confronté ici, la pochette parle d’elle-même. Debout dans un splendide pré verdoyant, Mavis et Cleotha Staple, toutes de blanc vêtues telle l’Immaculée Conception, semblent en appeler si ce n'est au Seigneur, du moins au Céleste.

Dès le premier titre, une légère fracture se dévoile par rapport au précédent disque édité par Riverside. La guitare de Roebuck 'Pops' Staple est l’unique source d’accompagnement, en dehors de quelques claquements de mains, d’où une sonorité plus fruste et terrienne et un ancrage sévère dans le domaine du Folk Gospel Rural.

Le jeu de guitare tout en finger picking de "I ‘m So Glad" * tire l’attelage dès le départ. Si la gratte nous renvoie à une connotation proche de celle du Blues du Delta, le texte ne laisse aucun doute quant aux incantations des deux sœurs qui baignent dans la félicité.
Les accords minimalistes et brut de décoffrage de "Swing Down Chariot" font encore leur effet, une variante up tempo du standard "Swing Low, Sing Chariot" de Wallis Willis. Cette version s'avère beaucoup plus réussie que la bouillie d’ELVIS ou celle, plus tardive, du Charlie Daniels Band, un des nombreux countrymen qui pleurnichaient parce que certains de ses concitoyens refusaient de servir de chair à canon en Irak. Mais c’est là un autre débat !
Rendons à César ce qui lui appartient. "The Old Landmark", ici accrédité à 'Pops' Staple est en fait une compo du Révérend baptiste William Herbert Brewster, aussi connue sous l’intitulé "Let Us Go Back to the Old Landmark". Repris entre autres par Edna Gallmon Cooke, The Ward Singers et Sister Rosetta THARPE, le titre connaît une surprenante résurgence via la version des BLUES BROTHERS.
Vee Jay nous glisse ni vu ni connu une petite refourgue avec "Good News", titre déjà au programme de l’album Swing Low édité deux ans plus tôt. Il s’agit en fait d’un Gospel traditionnel enregistré à la fin des années vingt par le Birmingham Jubilee Singers pour la Columbia. C’est encore une fois la guitare qui permet aux chœurs d'entrer dans nos crane pour ne plus en sortir.

Le phrasé de guitare, les harmonies vocales et les lignes mélodiques s’entrecroisent sur plusieurs pistes, à tel point qu’on croirait parfois entendre les mêmes titres, malgré des couplets et versets totalement différents, procédé qu’on retrouve chez John Lee HOOKER ou Fred McDowell. Grand succès du groupe préalablement gravé en 1956, "Uncloudy Day" provient d’un cantique de Josiah Allwood, un prédicateur itinérant blanc de l’Ohio. Rendu célèbre dans les années vingt par l’entremise du Smith’s Sacred Singers, un quintet vocal blanc de Géorgie. Le titre est tombé ensuite dans la besace du Hillbilly toutes tendances confondues (Appalaches, Bluegrass, Nashville Sound, New Country). Mavis Staple a repris le morceau en collaborant avec Marty Stuart. C’est encore une fois un appel au céleste dont il est question avec en point d’orgue le paradis, un territoire sans nuage ni orage.

Une troisième refourgue, "Let's Go Home", ouvre la face B, titre figurant dans Swing Low. C’est encore une fois une supplique à ne pas rater le bon wagon, celui qui nous conduira au céleste que nous entonne la troupe. John Hammond a repris le titre avec un surdosage intempestif de slide.
Deux titres piochés dans Will The Circle Be Unbroken agrémentent l’opus : "Pray On", un cantique nous rabâchant les bienfaits de la prière, et "Don’t Knock" qui nous indique la marche à suivre pour entrer au paradis. Vous savez maintenant quoi faire si l’envie vous prenait de faire un voyage dépaysant. Si Mavis a repris la chanson en 2010 dans You Are Not Alone, elle figure également dans l’album Trio concocté par Dolly PARTON, Linda RONSTADT et Emmylou HARRIS.
A cheval entre Gospel et Holly Blues, "Help Me Jesus" est dirigé par Roebuck Staple, Mavis reprenant rapidement les rennes d’un cantique où les chœurs doublent avec avidité les incantations de leur leader avec le fameux jeu des questions/réponses. On pourrait croire que "Going Away" vient en opposition à "Let’s Go Home", mais que nenni ! C’est encore une réfutation du mal, le bien prenant comme toujours le pas sur le côté obscur.
Le recueil s’achève avec un grand classique, celui qui lui donne son nom. Composé par Wallis Willis, un esclave choctaw affranchi par son maître (on se croirait dans Django Unchained), ce standard allégorique fait allusion au prophète Elie, un opposant au Roi Achab et à son épouse Jézabel, une femme qui finira bouffée par ses chiens. Si on ne compte plus les multiples repreneurs de ce message d’espoir ni les rabâchages indigestes ou pour le moins discutables (ELVIS, Eric CLAPTON, Jackie De Shannon pour ne pas les nommer), c’est une interprétation parfumée à l’extrême d’une essence rurale que nous proposent ici les STAPLE SINGERS.

Ce disque se situant à la limite de la compilation retranscrit parfaitement les premiers pas de la troupe familiale dirigée par Roebuck 'Pops' Staple. Certains trouvent à raison que les accords et riffs de guitare débouchent sur une certaine similitude et donc une monotonie parfois pesante, là où d’autres jugent que cette concordance des différentes pistes reste la principale identité de cette troupe qui n’allait pas tarder à évoluer par le biais de son séjour chez la Stax. Entre les deux positions, mon cœur balance, toujours est-il qu’avec cinq refourgues, Swing Low, Sweet Chariot ne se place pas dans le panier des œuvres primordiales de la fratrie Staple. Néanmoins, la plupart des titres parvient à éveiller notre écoute grâce à un rythme primitif aussi minimaliste qu’obsédant, même si les discours du genre bondieuseries ne vous touchent aucunement.


*Titre homonyme à ceux de Skip James et Mickey & Sylvia.