En 2010 (déjà) The BLACK DOG réalisait MFRA, Music For Real Airports, qui se présentait comme une réponse, voire une riposte au travail bien connu de Brian ENO, Music For Airports (1978). Il est clair que l’adjonction de l’adjectif ‘real’ servait, pour le groupe de techno britannique, à montrer que ENO n’avait pas pris la pleine mesure du sujet, que celui-ci méritait un traitement plus ambitieux qu’une simple "Discreet Music", qu’il fallait le revisiter et même le reprendre sous un angle complètement différent. Il y avait encore du potentiel à épuiser, ENO ayant abordé le concept de manière trop superficielle. Et il faut dire que MFRA est un album vraiment réussi et les années passées ne lui ont rien enlevé de son intérêt, c’est même tout le contraire, l’œuvre s’étant forgée une identité forte au sein du monde de l’ambient.

Le groupe ne cache pas sa détestation des aéroports. Synonyme d’angoisse, d’anxiété, de contrainte de temps et d’espace impactant négativement la condition humaine, l’aéroport est assimilé à une forme d’aliénation où in fine l’être humain subit le process automatisé de n’importe quelle autre marchandise à transporter. On pourrait dénoncer dans cette approche de l’ambient une forme d’intellectualisation trop poussée qui le ferait se rapprocher de l’art contemporain. Débattre de l’intention de l’artiste est certes toujours appréciable, mais ce qui compte finalement c’est bien la consistance de l’œuvre, la chose que l’on présente et qui est au-delà de l’intention, de l’interprétation.

Avec MFAL, Music For Airport Lounges, le groupe constate que rien n’a changé. Ainsi, le parcours type d’un voyageur est repris avec son stress, sa fatigue, sa privation de sommeil, son énervement qui restent pleinement d’actualité. Ayant profité du large temps passé dans les lounges aéroportuaires, nos Anglais vont donc piocher dans le matériel d’époque qui avait été écarté, pouvant compter sur plus de 200 heures archivées de field recording.

Les notes de piano répétées de "Gate 21", bien enveloppées par des nappes de synthés alternant lentement, nous immergent immédiatement dans les atmosphères de l’album précédent, et constituent une belle entrée en matière en nous invitant à l’assoupissement. Le drone de "Sleep Deprivation 3" avec ses petites boucles en fond sonore, dans le lointain, est aussi une suite de MFRA. "Pass Out Control" est également un joli passage apaisant qui marche sur les terres de la musique contemporaine pour film, où les synthés font office d’instruments à cordes.

Mais les échos fondus dans les textures granuleuses de "BCN (part 2)"* traduisent une impression de vide plus angoissante et nous rapprochent du dark ambient. Le drone de "Late Night Cabin Fever (Crying baby Mix)" et de "EMA Long Stay" est crispant; celui de « Sleep Deprivation 3 » nous refuse le sommeil et s'avère carrément horripilant; les martèlements et battements que l'on entend en fond sonore (surtout au casque) et qui frappent alternativement les oreilles sont stressants au plus haut point. "Rapid Pick Up" nous inflige gentiment le souffle des réacteurs ; on tire le constat que ce MFAL est plus dark que le précédent MFRA.

Le son fantomatique, voire hanté, des réacteurs apparaîtra sur "Leeds & Bradford" (qui est le nom de l’aéroport international basé dans le Yorkshire), ce qui en fait une des pièces les plus intéressantes de cet album si on se réfère à son concept, à savoir l’intégration d’un environnement aéroportuaire original dans un album d’ambient. "Longuest Journey Home", qui conclut cet album, est également un titre réussi, et ses vagues de synthés à base de trois accords pourront faire penser à la musique de Hans ZIMMER.

Music For Airport Lounges est un bon album d’ambient, plus dark que son prédécesseur. Il ne procure toutefois pas l’enthousiasme de MFRA. Il faut dire que le concept avait été traité avec talent précédemment et que MFAL ne bénéficie ni de l’originalité de son prédécesseur ni de ses meilleures pièces.


* BCN = Boarding Control Number ou Barcelone