Salué par la critique à sa sortie, c’est sans surprise que le dernier album de Kendrick LAMAR remporte le Grammy du Best Rap Album en février dernier. Depuis la sortie de Damn cinq ans auparavant, celui qu’on appelle le messie du hip-hop continue de travailler sur des projets musicaux, fait face à deux ans de page blanche, mais surtout devient papa. Il remet tout en question et retrouve enfin l’inspiration pour délivrer un double album aux sonorités un peu plus minimalistes qui sera enregistré entre 2019 et 2022. Pour lancer la sortie de l’album, l’artiste sort le clip de "The Heart Part 5" dans lequel Kendrick démontre une soif de critique sur un sample de Marvin GAYE et où on le voit se transformer de manière stupéfiante en différentes figures de la culture noire, même si le tour de force reste bien toujours sa cadence et son sens du buzz.

Prenant exemple sur son expérience personnelle, le concept de cet album repose sur des sessions de thérapie où il aborde les thèmes de sa vie : l’infidélité, le succès, le genre, son enfance et ses traumatismes. Même s’il hésite finalement à laisser tomber le projet, il fini par se lancer en espérant que cette mise à nue aidera ses enfants à l’avenir comme sur l’étourdissante track au beat ultra lourd "Mr. Morale" (a.k.a. Kendrick lui-même) rythmée de percussions pointues où il explique avec un flow fantastique qu’il se sacrifie pour la guérison. Résultat de la recette : une sorte de méditation hip-hop au lyrisme toujours profond, truffée de featurings (et une tranche de philosophie spirituelle avec l’écrivain allemand Eckhart Tolle sur plusieurs titres, oui oui carrément). Une vraie chasse aux démons.

Les deux albums sont en contraste, on arrive sur le premier avec des questionnements non résolus qui interviennent dans la vie du rappeur juste après la thématique fascinante mais un peu sans espoir qu’on avait sur Damn. Le premier disque s’ouvre avec un confessionnal posé sur "United In Grief" suivi d’un quasi sans-faute : sur l’électrisant "N95" il fait tomber les masques et révèle ce qui est en-dessous, ou encore sur "Father Time", "Worldwide Steppers" (Kodak Black qui introduit Eckhart Tolle, c’est la quatrième dimension) et "Rich Spirit". On revient sur des sons plus groovy avec "Die Hard" ou "Savior", une claque à l’instru un peu folle avant de retrouver The Alchemist, toujours reconnaissable, sur la production de "We Cry Together", leur deuxième collaboration après Damn.

Kendrick nous plonge au zénith de sa thérapie et de sa réflexion dès le début du deuxième disque avec "Count Me Out" et qui rappelle avec les paroles anytime i couldn’t find god i still could find myself through a song que même si l'on ne partage pas toujours les expériences des autres, on peut se reconnaître dans l’empathie. Sur "Crown", une piste poignante où sa voix se multiplie accompagnée d’un piano triste mais résolu, on comprend la lutte du rappeur dans son monologue intérieur. Avec "Auntie Diaries" il nous raconte sa réalité sur la question du genre avec l’histoire de sa tante trans et en profite pour faire son auto-critique et celle de notre société avec un synthé royal et une bonne dose de provoc… une merveille pour les oreilles à écouter avec un casque !

Et pour le coup, on termine en apothéose l’introspection avec le piano mélancolique de "Mother I Sober" et "Mirror" avec la conclusion répétée des dizaines de fois i choose me, i’m sorry. Cette fois, les émotions ne sont plus retenues captives dans la matrix du sempiternel questionnement. En résumé, une histoire pleine de substance sur l’imperfection humaine où Kendrick se met à nu en regardant ce qui se passe en lui, guéri ses blessures et nous livre un album complexe mais ambitieux qui s’écoute, se re-écoute et prend toujours plus de sens à chaque fois.

Dur de définir des titres préférés, tant chacun d’entre eux prend du sens avec chaque écoute, ce qui explique les 5 étoiles mais mes favoris sont "Die Hard", "Mr. Morale", "Savior" et un coup de coeur pour "Rich Spirit" et son clip que j’adore. Avec cet opus, Kendrick montre qu’il n’a pas besoin d’exister comme un messie, être le poète d’une génération c’est déjà beaucoup.