Même s’ils sont peut-être avant tout un coup de marketing, les albums post-mortem sont aussi un moyen d’offrir aux fans un pan supplémentaire de l’oeuvre d’un artiste. C’est le cas de Balloonerism, sorti en 2025, deuxième album publié après la disparition du rappeur Mac MILLER il y a six ans. Balloonerism est composé de matériel enregistré il y a dix ans, juste après la sortie de Watching Movies With The Sound Off, alors on se sent presque comme dans une capsule temporelle, comme si le natif de Pittsburgh était toujours là.

Ce projet, Mac a décidé de l’ouvrir sur "Tambourine Dream", une très courte introduction où il s’éclate aux percussions avant d’embrayer sur le titre bien psyché "DJ’s Chord Organ", porté en quasi-totalité par la voix sublime de SZA (I know the truth about it/Cocaine is ruthless) mais on entend aussi la basse soul de THUNDERCAT qui co-produit et co-écrit la moitié de l’album. Sans délai, on comprend que le Mac de l’époque, ultra-prolifique et ultra-déchiré, s’essaie sur Balloonerism à des tentatives plus expérimentales, ce qui explique probablement pourquoi le projet n’est pas sorti avant.

Consumé par la drogue et la dépression, MILLER a le ton morose sur l’instru lente de "Mrs. Deborah Downer" (If pills can turn to powder/Then this world could turn to ash), avec la guitare vaporeuse de "Stoned" (We can get stoned/I swear to God, Heaven feels just like home) ou encore sur l’excellent morceau "Manakins" dont le beat plus soutenu n’enlève rien à l’atmosphère sombre du thème (Life just gets so boring, playing superhero makes it fun/But why is heroism so close to heroin?).

THUNDERCAT est toujours aux manettes de cette basse funky sur les deux singles du disque : "Funny Papers" accompagné d’un piano assez tristounet et "5 Dollar Pony Rides" dont l’ambiance plus jazzy fait particulièrement penser à "Dang!". Alors que la trap est à la mode dans le monde du hip-hop, la fusion des genres que MILLER met en avant dans ses compositions illustre la richesse de sa musique, comme sur "Rick’s Piano", un hommage au producteur Rick RUBIN vers qui Mac s’est tourné pour l’aider à se sortir de cette période sombre et lourde en drogues.

Ce passage à vide si commun aux dépressifs, Mac le remplit de méditations sur la mort, d’une manière presque prémonitoire, sur le morceau "Shangri-La" (It’s the house of the rising sun, a village of unusual/If I’m dying young, promise you’ll smile at my funeral) et dans "Do You Have A Destination?" (I gave my life to this shit, already killed myself). Le beat est épuré, l’instrumentation planante et MILLER y livre un flow qui reste parmi mes préférés du projet. Partagé entre espoir et désespoir, le rappeur y dévoile sa perspective du succès ; pessimiste, oui mais peut-être aussi sacrément réaliste (Okay, I went to sleep famous and I woke up invisible/Rich as fuck and miserable).

Mac chante ses désillusions et retrouve SZA sur les choeurs de "Friendly Hallucinations", un morceau très sympa, très chill, avec une batterie assez trippante. On ne quitte pas cette ambiance high, presque déconnectée de la réalité, virant souvent du côté trip-hop comme sur "Transformations" où l’on croise son alter ego Delusional Thomas qui avait eu droit à sa propre mixtape en 2013. La voix et les instruments sont travaillés, ralentis, distordus, de quoi maintenir notre attention en éveil total et, pour ma part, je retiens en premier lieu "Excelsior" avec son super joli beat et ses rires d’enfants innocents.

On termine avec le trip psychédélique-ambient (encore !) de presque douze minutes de "Tomorrow Will Never Know". Pas habituelle, la basse de THUNDERCAT est ici écrasante, histoire de nous mettre un peu mal à l’aise, au moins autant que Mac dont les questionnements sont toujours aussi complexes (You wonder when God will just listen and give you a break/And He says "See living and dying are one and the same").

Il n’y a pas de doute, l’intégrité de la vision artistique de Mac a été maintenue telle qu’elle a été imaginée sur Balloonerism, un album qui ne sonne pas du tout inachevé et qui honore le talent de ce rappeur disparu trop tôt à l’âge de 26 ans d’une overdose. SZA en témoigne, rien n’a été changé depuis toutes ces années, alors il est évident que pour les fans, Balloonerism va représenter une véritable connexion inespérée avec Mac, même si son côté expérimental risque peut-être de surprendre les néophytes de l’univers MILLER.