Quelques années après Plastic Beach qui dénonçait la superficialité et le consumérisme d’une époque, voici venir une nouvelle île… Cracker Island !

On avait cru déceler un lopin de terre isolé aussi sur l’album précédent, phare au beau milieu de nulle part, attaqué par un monstre marin, les protagonistes finissant à la mer et manquant se noyer. "The Lost Chord", yeah, était le meilleur titre illuminant Music Machine : Season One et de loin, continuant à irradier même une fois la nuit tombée. Le concept îlien paraît ainsi avoir pris le meilleur sur GORILLAZ. Encore que… Elle n’apparaît pas totalement évidente sur cette jaquette où l’on distingue les quatre membres virtuels du quatuor prenant la pose au cœur d’un paysage campagnard.

Murdoc NICCALS, coiffé d’un béret, semble comme en lévitation à l’orée d’une mystérieuse cabane – plutôt une chapelle sans doute – pouvant accueillir sereinement l’auditeur entre ses bras ouverts et rassurants. 2D, coiffé du même couvre-chef, paraît animé d’une transe, les yeux blancs, et le bras levé en quête d’un objectif inconnu céleste. Le chapeau offre-t-il des visions insolites ? Ou délivre-t-il des mauvaises pensées ? NOODLE, assise dans un escalier pierreux annexe, et Russel HOBBS, accoudé à une barrière, n’ont pas ou prou l’air concernés par les évènements. On note l’inscription Helter Skelter bien en évidence sur le débardeur arboré par la guitariste fictive japonaise, dénomination choisie pour ce cercle en hommage à une chanson dangereuse et démoniaque composée par les BEATLES ?

Cracker Island est le huitième disque réalisé par GORILLAZ. Stylistiquement, il est partagé assez équitablement entre collaborations et chansons en solo. Sa composition démarra dès 2021, le zouk caribéen "Tormenta" étant le premier titre produit par ces sessions. Conviant le rappeur portoricain BAD BUNNY, la chanson devait être la tête de gondole ornant la seconde saison de Music Machine, un projet finalement abandonné au profit d’un successeur studio plus traditionnel. Parallèlement, la créature menée par Damon ALBARN sort également l’EP Meanwhile pour célébrer le carnaval de Notting Hill annulé cette année-là à cause de la pandémie de COVID-19.

Sur Cracker Island, cela a vu le jour.

Comme une trilogie satanique, les premiers mots prononcés constituent ceux composant le titre de l’album sur la chanson éponyme. Une ouverture funky – presque disco – aux accents DAFT PUNK convoquant la basse empoignée par THUNDERCAT sur un sujet pourtant grave, les clichés fugaces revenant en flashes-éclair d’une société construite sur de bien fragiles fondations et dont les trop nombreux vices peuvent la faire s’écrouler à tout moment. Dans la diagonale, un autre atoll, très cinématographique, duel de western les pieds dans le sable mettant aux prises 2D et BECK pour obtenir sa possession.

"Oil" révèle un autre narrateur se perdant dans les méandres d’Internet, autoroutes d’une matrice menant à une solitude silencieuse. La première phrase pourrait encore être un clin d’œil au projet Song Machine perdu en route mais constitue plus vraisemblablement le pacte secret passé par notre héros avec une existence virtuelle (Puis j’ai introduit mes codes dans la machine). Initialement pressenti pour être interprété avec le chanteur des STROKES Julian CASABLANCAS, le titre fut proposé à la voix rauque reconnaissable entre mille de Stevie NICKS, vocaliste légendaire pendant la seconde vie de FLEETWOOD MAC, laquelle accepta avec enthousiasme. Le résultat, clair-obscur et ne sachant de quel côté réellement basculer, s’avère extrêmement savoureux.

Tout aussi alangui, cet influenceur ayant pris place dans un hamac sous un cocotier. Cerné par les écrans, seul Siri parvient à lui répondre avec moult difficulté. "Silent Running", terme nautique désignant la volonté d’un déplacement quasi indétectable à bord d’un sous-marin, invite Adeleye OMOTAYO, choriste chez Amy WINEHOUSE, pour un superbe titre mélancolique, convoquant lyriquement addiction aux réseaux sociaux mais également scènes qu’on croirait extraites du film éponyme, une science-fiction naïve teintée de conscience écologique où un botaniste prend soin sur un vaisseau spatial des derniers vestiges végétaux d’une Terre ravagée.

Après cela, la deuxième face tombe dans une trop grande facilité. Étonnamment, "New Gold", titre conviant le psychédélique TAME IMPALA se prend les pieds dans le tapis, une fadeur qui se poursuit sans discontinuer ou presque, malgré un "Skinny Ape" soudain animé d’une raideur intéressante presque synthwave.

L’impression globale est ainsi celle d’une parfaite maîtrise cependant légèrement fraîche et distante, presque désincarnée en fait. Le public plébiscite Cracker Island, le hissant numéro un en Angleterre pour la première fois depuis Demon Days. Je demeure plus réservé, songeant à cette équipe de foot qui joue une mi-temps, plutôt bien, mène 1-0 et refuse le jeu en seconde. Elle finit par se faire avoir parfois, souvent même. C’est exactement ce qui est arrivé à l’OGC Nice en quart de finale de Conference League contre le FC Bâle si je puis (encore) me permettre une métaphore footballistique.

2.5/5 arrondi à 2 par cohérence avec l’album précédent.