"Nul n'est prophète en son pays" dit le proverbe. On devrait plutôt parler de prophète hors de son époque lorsqu'il s'agit d'évoquer la brève mais fascinante carrière de Robert Newton Calvert. Pionnier du punk et du psychédélisme, franc-tireur new wave et électronique ... Cassandre de la cyber apocalypse libérale prédatrice et guérillero de l'espace. Mad Bob ne bénéficiera jamais de l'aura d'un John Lydon, d'un Iggy Pop, d'un Jim Morrison ou d'un Trent Reznor. Artiste au tempérament explosif voire infréquentable et à l'œuvre confidentielle, immaculée de toutes souillures commerciales : si il était encore de ce monde, le rock n roll hall of shame pourrait se gratter jusqu'au sang en attendant son intronisation. Néanmoins, subsistent toujours quelques originaux (dont votre serviteur) pour entretenir la mémoire de ce personnage inclassable. Y compris parmi les acteurs passés et présents de la scène alternative / underground.

Publié par le polyvalent label Cleopatra Records en février 2021, "𝘛𝘩𝘦 𝘓𝘢𝘴𝘵 𝘚𝘵𝘢𝘳𝘧𝘪𝘨𝘩𝘵𝘦𝘳" ne se présente pas comme un best of lambda retraçant la carrière solo du Captain Lockheed. Il s'agit d'une compilation centrée sur sa trilogie 80's ("𝘏𝘺𝘱𝘦", "𝘍𝘳𝘦𝘲", "𝘛𝘦𝘴𝘵 𝘛𝘶𝘣𝘦 𝘊𝘰𝘯𝘤𝘦𝘪𝘷𝘦𝘥") et quelques chansons jamais gravées sur microsillons, rassemblant des remix essentiellement électroniques des meilleurs moments de sa période post HAWKWIND. Une démarche séduisante proposée dans un emballage qui ne l'est pas moins. Artwork space cyber cold rétro futuriste fantaisiste, très proche de l'esthétique de l'avant-gardiste projet "25 Years On" des HAWKLORDS (la photo de Bob sur la pochette datant justement de cette période) et images d'archives à l'appui (issues de son mandat hawkwindien 1976 / 1978 et de ses performances avec le MAXIMUM EFFECT) : le format vinyle est un bien bel objet.

Le contenu en revanche est plutôt mitigé. Hétéroclite et perfectible, jusque dans la dénomination de certains morceaux (ainsi la piste conclusive de l'édition CD n'est pas "Flight 105" mais "Hanging Out On The Sea Front", tout deux extraits de Hype), l'ensemble laisse un arrière goût désagréable en plus de semer le doute sur la motivation derrière ce remix. Réel intérêt porté sur les travaux du plus grand parolier rock ayant existé ? Énième agression mercantile basée sur un fan service habile et crapuleux ? Le mieux est de considérer "𝘛𝘩𝘦 𝘓𝘢𝘴𝘵 𝘚𝘵𝘢𝘳𝘧𝘪𝘨𝘩𝘵𝘦𝘳" comme un album correct et sans prétention. Là seulement, on pourra commencer à faire le tri pour en saisir le meilleur et s'en régaler.

Car d'excellentes choses il y en a. À commencer par l'ouverture "Over The Moon" reprise en main par le vétéran Mike Score de A FLOCK OF SEAGULLS. Concis, planant, onirique et fédérateur. La voix fragile de Bob survolant l'ensemble tel un fantôme errant au cœur d'une machine, une constante sur tout l'album, voici un tube en puissance comme on n'en avait pas entendu depuis le début des 80's. Épaulé par un excellent clip noir et blanc, dans lequel un comédien y incarne un Bob Calvert entre le guerrier / pilote renégat et le néo romantique torturé, déambulant dans un paysage urbain désert (en réalité une zone industrielle désaffectée aux portes de Saint Louis, Missouri) au milieu d'un ballet de Fokker/Stukas/Messerschmitt, d'ordinateurs, de lignes de codes et d'installations spatiales, tandis que défilent des photos du vrai Bob déchaîné et pistolet mitrailleur au poing au Château de Cardiff avec HAWKWIND durant l'été 76 (le fan attentif des HAWKS pourra y apercevoir Simon House et Paul Rudolph) ; voici probablement mon morceau favoris pour ce qui est des années 2020. Autre vieux de la vieille à faire parler la poudre : Rat Scabies. L'ex DAMNED se réapproprie le terrible "Lord Of The Hornets" pour en livrer une version surpuissante et qui ne dénature pas l'originale. Le titre le plus rock du disque. Un véritable déluge de guitares massacreuses. Quoi de plus normal venant d'un fou furieux survivant d'un des groupes punk UK les plus borderlines ? Dans un registre éthéré, "Hidden Persuasion" revue par le duo synthpop new-yorkais Xeno & Oaklander est une vraie petite merveille. Rien à redire également sur "I Hear Voices" revisitée par SOFT KILL, lugubre à souhait et dotée d'une mémorable ligne de basse tout droit échappée des arcanes post punk les plus lointaines. Quant à "Telekinesis", passée sous la houlette de l'icône cold wave américaine Luna Blanc dite SYZYGYX, le rouleau compresseur anxiogène d'origine devient un brûlot énergique et spontané, où l'efficacité initiale demeure.

Reste l'autre facette du disque, moins satisfaisante. Celle des piètres réinterprétations et des trahisons. Lorsque la musique et la production relèvent du bricolage le plus inaudible (le second "Over The Moon" par XIU XIU, tout bonnement désastreux) ou que les nouvelles versions n'apportent rien, voire font fi de l'âme et de l'impact émotionnel des morceaux ("Ambitious" par NITE, "All The Machines Are Quiet" par Andre Obin), ce sont les textes, pourtant primordiaux dans la compréhension de l'œuvre de Calvert comme dans la logique et l'intégrité artistique du monsieur, qui sont charcutés voire sacrifiés ("Acid Rain" revue par BLACK PLASTIC préserve la crasse de l'eau chimiquement souillée de son aînée, mais les paroles radicales et visionnaires ne sont plus là). Mad Bob toujours trop provocateur, subversif et lucide même aujourd'hui ?

L'excellence patauge donc dans une flaque brouillonne d'où émergent quelques déchets. Nous étions en droit d'attendre bien plus de cette compilation dont le seul mérite réside dans son infime faculté à faire connaître Robert Calvert auprès de la génération 2020. Je ne peux que vous dissuader d'acquérir le CD. Je serais moins sévère concernant l'édition vinyle, plus équilibrée. Sans les dispensables versions de "The Luminous Green Glow Of The Dials Of The Dashboard At Night", "Acid Rain" (déjà évoquée plus haut) et "Marathon Man" par XIU XIU, mais avec l'apport de "Telekinesis", "Working In A Diamond Mine" par les dark waveurs de CRYING VESSEL (une relecture aussi belle que tragique) et "Ned Ludd" par les teutons indus de DIE KRUPPS, nous aurions été en présence d'un album parfait.

Cela étant dit, il est clair que si les noms de Conny Plank, Peter Hook, Steve Strange ou encore Colin Newman vous évoquent des souvenirs de mélomanes en extase et que le DAFT PUNK de "Discovery", la scène chill / synthwave, les effluves inquiétantes de DAF, les délires de PRODIGY et même les excès rétros de The Weeknd vous sont chers, nul doute que vous puissiez trouver votre bonheur à l'écoute de "𝘛𝘩𝘦 𝘓𝘢𝘴𝘵 𝘚𝘵𝘢𝘳𝘧𝘪𝘨𝘩𝘵𝘦𝘳". Et par extension, pourquoi pas, vous lancer dans l'exploration de l'œuvre foisonnante de Robert Calvert, ce génie de la musique et de la plume, parti bien trop tôt.

PS : libre à vous d'aller écouter sur Youtube la relecture de "High Rise" d'HAWKWIND période Bob par Henry Savage alias HLTR SKLTR. Une pépite cold synth qui donne mille leçons à bien des pointures du genre tant elle se révèle supérieure à la moitié des remix rassemblés sur l'édition CD de "𝘛𝘩𝘦 𝘓𝘢𝘴𝘵 𝘚𝘵𝘢𝘳𝘧𝘪𝘨𝘩𝘵𝘦𝘳".