S'il y a bien une chose que l'on ne pourra jamais reprocher à Robert Calvert, c'est de s'être reposé sur ses lauriers du débuts des 70's. Constamment occupé par des projets musicaux, poétiques ou d'investigations, lorsqu'il n'était pas en tournée ou pris en pleine tempête sous un crâne du fait d'une magouille nationale voire planétaire, Bob s'est dévoué corps et âme à sa musique et à ses idéaux. Une dévotion dont les fatigues physique et mentale engendrées finiront tristement par avoir raison de lui.

Parmi ses travaux légués bien trop tôt, figure une quantité généreuse de concerts.
En 1986, dans l'optique de faire honneur à "𝘛𝘦𝘴𝘵 𝘛𝘶𝘣𝘦 𝘊𝘰𝘯𝘤𝘦𝘪𝘷𝘦𝘥", son chef-d'œuvre discographique solo, Bob se lance à l'assaut des scènes britanniques. Il est alors secondé par son propre groupe de tournée, THE MAXIMUM EFFECT, ensemble d'accompagnateurs tirant son nom d'un album de la défunte INNER CITY UNIT. En effet, lorsque l'équipage du Captain Lockheed débarque à Carlisle en novembre 86, Mad Bob est flanqué de deux transfuges de l'ICU : Steve Pond et l'iconique autant que confidentiel Philip Reeves, dit Dead Fred. Les trois hommes ont fait quasiment salle comble au Queen Elizabeth Hall le mois précédent et espèrent pouvoir rassembler davantage de monde. De tous les enregistrements officiels et pirates existants, seuls deux albums live officiels sont relatifs à cette période, le disque dont il est question aujourd'hui et celui saisi au Queen Elizabeth Hall. Ce dernier plus réputé et récemment remasterisé, mais trop présentable en terme de son et comprenant une track list décevante, 9 titres seulement, alors que Bob & Co' avaient pour habitude d'en interpréter presque une trentaine par soir. Aussi, ce Live At The Stars & Stripes, Carlisle 1986 fut à l'origine un bootleg capturé par Steve Pond lui-même et mis à disposition des fans par l'intermédiaire du site internet de l'INNER CITY UNIT. Comme il est désormais accessible dans différentes versions avec plus ou moins de bonus acceptables comme dénués de tout intérêt, cette chronique porte sur le document original et sa première version.

Bootleg oblige, le son n'a subi aucun traitement à la javel. Du début à la fin, ça arrache. Le Stars & Stripes de Carlisle ayant longtemps servi de QG aux fans locaux des EXPLOITED et à moult autres formations keuponnes, personne ne va s'insurger d'un résultat aussi orienté raw power. Malgré les claviers de Dead Fred et des percussions programmées (mais nous sommes toutefois aux antipodes d'une quelconque affreuse LinnDrum, Doktor Avalanche ou fausse batterie dissimulée), l'ensemble est résolument punk. Les morceaux n'excèdent pas les six minutes. Steve Pond n'est pas Ritchie Blackmore, mais il possède un foutu sens du riff et ses interventions sont un régal pour qui voue une admiration aux pointures du riffing que sont Ron Asheton, Geordie Walker ou Johnny Ramone.

L'ensemble, bien que très axé sur la trilogie 80's de Bob ("Hype", "Freq" et "Test Tube Conceived") constitue une belle rétrospective de la carrière du Sud Africain, aussi bien en solo qu'avec HAWKWIND. D'ailleurs, sans doute afin de rassurer les inconditionnels de Space Ritual, le live démarre sur une relecture éclair du terrible "Orgonne Accumulator", décidément pas un outil d'intégration sociale celui-là. Le show contient son lot de chansons transcendées par la scène. C'en est flagrant sur un "The Aerospaceage Inferno" supersonique, un "Teen Ballad Of Deano" toujours aussi rêveur et touchant malgré les power chords en fusion de Steve Pond, un "Ship Of Fools" surpuissant, un "On Line" menaçant (et qui rappellera à tous les joueurs téméraires ô combien Shodan était une cyber peau de vache), un "Quark Strangeness And Charm" qui sonne irrésistiblement DAMNED (ce solo épileptique et fun que Captain Sensible n'aurait pas renié) et un "Robot" (dont je ne suis à l'origine pas fan) ici affolant. Deux inédits répondent présent : l'excellent "Radio Egypt", rock héroïque au refrain inoubliable et le musclé (et quel riff) "Working In A Diamond Mine", évocation de l'apartheid contre lequel se positionne clairement Bob, lui qui né à Pretoria, n'a pas suivi sa famille lors de son retour au pays et a toujours très mal vécu la situation politique et sociale qui accable la future nation arc-en-ciel. Quant aux classiques, "Lord Of The Hornets" (légendaire), "Ned Ludd" ou encore "Telekinesis", ils sont tous sans exception joués pied au plancher, avec concision et lorsque cela s'avère nécessaire : avec sensibilité (vous ne trouverez pas de version plus déchirante de "All The Machines Are Quiet" ailleurs que sur ce disque). Un set des plus réjouissant qui s'achève sur un enchaînement magique : "Spirit Of The Age" / "Psi Power" / "The Flying Doctor" (ce morceau bordel ... une vraie dinguerie. Et ce con de Dead Fred qui imite le son d'un avion à la toute fin ...). Le meilleur du HAWKWIND période Calvert. Idéal pour conclure un tel festin de roi.

Reste les pistes bonus. Pas mauvaises, bien que brouillonnes et en rupture avec l'ambiance du live. Toutes sont des démos capturées avant la tournée et faisant partie intégrante des innombrables chansons jamais publiées sur un album du fait du décès de Bob. On retiendra en particulier le torturé "Hidden Persuasion", le glauque "Marathon Man" évidente référence au classique de John Schlesinger (relax Babe, c'est sans danger) et "White Dynasty", à travers lequel Bob se livre sur son rapport ambiguë à l'Afrique du Sud. "Je ne vois pas de solution facile à cette situation, mais il n'y a pas de solution facile pour toute cette planète de toute façon" déclarait il, fataliste, à l'époque.

50 personnes en guise de public (le tenancier pu au moins se remettre de la précédente nuit où NAZARETH n'avait attiré que six quidams), telle fut la "récompense" que reçu le MAXIMUM EFFECT pour ce concert pourtant irréprochable, plus 77 / Ann Arbor tu meurs et durant lequel Bob, fidèle à sa réputation de frontman inépuisable, s'est donné sans compter. S'étant même permis quelques plaisanteries / échanges plutôt conviviaux avec les spectateurs, entre deux bouffées tirées de sa pipe. Prudence toutefois. L'ami Bob restait Mad. Et il n'était pas rare de le voir manier un marteau sur scène (on ne sait jamais ...), alternant entre une moue je-m'en-foutiste et un air concerné voire menaçant tendance kabuki paramilitaire.

J'aurais pour ma part apprécié un peu plus de contenu solo ("The Right Stuff", "Flight 105", "Sensitive", "Save Them From The Scientists") ou hawkwindien ("Urban Guerilla", "Ejection", "Reefer Madness", "Death Trap", mieux encore : une reprise furibarde de "Valium Ten" ou de "Master Of The Universe" avec Nik Turner en invité surprise) qui aurait pu s'ajouter à la place des démos. Mais cela reviendrait à nier la qualité intrinsèque d'un album que tout amateur de rock underground se devrait de connaître. Les 80's ne furent pas à 100% la décennie fric / paillettes / MTV / pignoufs en tout genre. La discographie de Bob en studio comme ce live qui convoque la colère électrique des PISTOLS, la puissance de feu motorik de NEU! et la pop électronique malade du MINISTRY des débuts en est la plus belle preuve.