Le récit de science-fiction ou d’anticipation futuriste, ce n’est pas forcément la loi du talion à coup de pistolets laser ou de méca-colosses de la mort qui tue qui se donnent des tatanes atomiques. La part belle peut être laissée à la contemplation, voire à la mélancolie, comme le montrent, dans des domaines fort différents, 2001, L’Odyssée De L’Espace de Stanley Kubrick, Le Voyageur Imprudent de René Barjavel ou Préférence Système d’Ugo Bienvenu. Il peut en être de même, d’une certaine manière, de la musique. Dès les années 1970, des albums de musique électronique plus ou moins dansante ou mélodique ont été perçus comme des objets musicaux non identifiés augurant des sons du futur: The Man Machine (1978) de KRAFTWERK ou Magic Fly (1977) de SPACE, sans même parler de Jean-Michel JARRE, exemple on ne peut plus galvaudé en la matière – je ne veux pas discréditer ces œuvres, ce sont simplement les premiers noms qui me sont venus à l’esprit. Une tendance de plus en plus suivie et copiée à partir des années 1980, jusqu’à tomber dans une certaine désuétude.

Vous voyez sans aucun doute où ma grosse intro passe-partout veut en venir. Avec Souvenirs Du Futur (1980), exit les refrains clinquants (en caricaturant un peu), place aux atmosphères froides et aux climats en suspension. Là où l’électronique sonore a fini par devenir un prétexte chez certains compositeurs (coucou Jean-Mimi), elle reste un outil de suggestion par le son, entre autres objets sonores. Souvenirs Du Futur peut surprendre par sa faible densité sonore, mais Luc MARIANNI réussit à éviter l’ennui, non mieux, à en faire une force, avec "Champs De Cristal" d’abord, superbe complainte, comme le survol d’une plaine désolée, empreinte de la profonde tristesse de voir ses racines effacées par quelque catastrophe humaine. Le "Prélude" n’en est qu’un extrait passé à l’envers mais forme une belle introduction mystérieuse qui invite à l’écoute.

"Lumières De La Ville" figure, au moyen de tintements, pulsations et larges nappes oppressantes, la désorientation totale dans un monde nouveau, non pas celui "des" villes telles que nous les connaissons, mais de "La" ville effroyable et tentaculaire, que même les humains d’aujourd’hui, déjà passablement dénaturés, ne pourront supporter. Cette thématique rejoint immanquablement une autre "Ville", celle de ART ZOYD, sur Génération Sans Futur d’ailleurs, publié la même année. Mais là où la formation maubeugeoise s’appliquait à tirer de "La Ville" une immersion dans toute la négativité des agressions urbaines, Luc MARIANNI en retranscrit son aspect mécanique et son architecture brutaliste en clair-obscur entre les luminaires et la nuit noire.

Morceau choral faussement désordonné, "Voix Dans Les Brumes" est comme une transition de l’effroi de l’extérieur à la détresse intérieure, une composition de toute beauté qui exsude la mélancolie. La confusion règne sur "Distorsions Dans Les Brumes" dont les guitares erratiques retraitées renvoient directement à VERTO, et en particulier à "Strato (Volubilis)". Les souvenirs se font de plus en plus flous mais la tristesse et le déni demeurent. Avec "Un Rêve Logique", la pensée s’embrouille encore davantage, le réel et le souvenir se fondent en un titubement névropathique, entrecoupé de derniers éclats cauchemardesques. Le retour du thème de "Champs De Cristal" en conclusion de l’album peut symboliser la mort du sujet, consommant l’ultime lien de la société post-moderne avec ses racines. C’est la mort d’un monde par dépérissement.

Des mois durant, j’ai sous-estimé Souvenirs Du Futur, n’y voyant qu’un bricolage sonore fait à la va-vite… J’avais tout faux! Un album mortuaire, certes moins brutal que d’autres albums électroniques d’avant-garde (An Electric Storm de WHITE NOISE) mais pas loin d’être aussi envoûtant.