Près de trente ans après Video Screens Control, Luc MARIANNI étoffe sa série Between Light And Sound Waves qui était originellement prévue pour être une trilogie. Numéralogique partage effectivement trois caractéristiques avec son prédécesseur: il s’agit d’un double album, avec une collaboration extérieure (Jacques JEANGÉRARD, plus tard auteur de deux albums solo), et structuré en un montage entre la musique et des extraits sonores extérieurs.

Au-delà de ces convergences de formes, les deux albums sont de styles radicalement différents. Video Screens Control était une plongée glaciale et glaçante dans l’abrutissement généralisé induit par la télévision (et ça ne s’est pas beaucoup arrangé depuis). Numéralogique est beaucoup plus contemplatif. C’est un mélange ambiant de fragments d’improvisations anciennes (1975-76 selon les notes de la pochette) et d’éléments nouveaux, les inserts sonores (semblant être extraits de films) étant somme toute assez rares. On retrouve donc des caractéristiques musicales de deux époques si différentes: du piano retraité sur bande, des pépiements analogiques, au milieu de nappes digitales. On entend également, à deux reprises sur "On Pourrait Faire Un Bon Feu", une résurgence de l’un des plus beaux thèmes de Voyage Vers L’Harmonie (1983). Il y a même, sur "Faut Rester Groupés", des extraits de Video Screens Control. Bien que les passages ambiants, bruitistes (toutes proportions gardées) et mélodiques s’enchaînent sans structure évidente, le tout est globalement cohérent et forme des climats de toute beauté.

Ce double album fait partie, dans son édition originelle, d’une série de parutions d’archives de Luc MARIANNI publiés entre 2009 et 2014 sur son label Up & Down Unit Creation (d’après son album Up & Down, 1996). Numéralogique est hélas la seule de ces sorties à être facilement disponible. Il a d’ailleurs été réédité en double vinyle en 2014, cependant sans le dernier morceau "Les Oiseaux Chantent Plus", dont le final est pourtant l’un des plus beaux passages de l’œuvre.

À l’instar de Video Screens Control qui illustrait le divertissement par la télévision, on peut interpréter Numéralogique comme une échappée belle dans le monde cybernétique et l’imaginaire collectif qui en découle, dans son versant le plus apaisé, du temps où les cookies n’attendaient pas en embuscade à chaque coin de page web et où Windows ne nous les brisait pas avec leurs Widgets à la con. C’était il y a dix ans. Il ne faut pas beaucoup se forcer pour retrouver les sensations des paysages musicaux doux et apaisés de Minecraft par C418. Des instants de tranquilité, à travailler, à chercher, à observer, à créer, mais gare, la distraction et l’addiction ne sont jamais loin.

Toute extrapolation mise à part, Numéralogique est une œuvre ambiante de fort bonne facture, assez hermétique mais dont la beauté plastique et mélodique réussit à briser la glace. À quand un volume 3 ? Si conclusion à cette trilogie thématique il doit y avoir, alors elle serait considérablement plus sinistre et tortueuse.