Après des Souvenirs Du Futur (1980) où il était quasiment seul, Luc MARIANNI convoqua plusieurs musiciens extérieurs pour son deuxième album D.G. Portrait, parmi lesquels le guitariste Jean-François PAPIN du projet parallèle ROCK CRITICS et auteur d’un album solo la même année, ainsi que la pianiste Patricia Albertini qui intégrera cette même formation un peu plus tard. Ce qui distingue D.G. Portrait des deux albums de ROCK CRITICS est que cette fois les intervenants extérieurs ne participent pas à l’album entier mais uniquement à quelques morceaux chacun, ce qui tend à en faire un recueil de pièces collaboratives.

"Dorian G. Portrait" fut co-réalisé avec Philippe Deshayes et enregistré aux studios de l’INA-GRM – fusion de deux organismes : INA pour l’Institut National de l’Audiovisuel et GRM pour le Groupe de Recherches Musicales fondé par Pierre SCHAEFFER en 1958 – implanté à la Maison de Radio France à Paris. Cette pièce quasi-liminaire relève de la musique concrète et consiste en des dictions d’un extrait du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, répétées, fragmentées, entrelacées avec quelques autres objets sonores, comme si les mots étaient croqués, mâchés et avalés.

La première face est occupée par une longue suite, tout comme "Souvenirs Du Futur" sur l’album éponyme (1980). Une fois de plus, il ne s’agit pas d’une suite d’un seul tenant, à ceci près que "European Dream" est encore plus fragmenté, avec pas moins de dix pièces distinctes. Le résultat est somme toute assez proches du premier album, dans des sonorités électroniques très crues, des rythmiques tamisées, des mélodies dépouillées. La narration est bien sûr différente : là où Souvenirs Du Futur racontait la perte de repères dans la civilisation moderne, "European Dream" est un patchwork d’impressions de voyage; il ne s’agit pas de documenter le folklore de villes européennes mais de laisser transparaître leur insoluble singularité. Citons entre autres le dialogue de "Edinburgh" entre la cornemuse et son émulation électronique, ou "Amsterdam" basé sur des rythmes manipulés sur bande magnétique avec Philippe Deshayes, méthode que l’on trouve également sur Souvenirs Du Futur.

Les deux derniers morceaux, avec Jean-François PAPIN et Patricia Albertini, se rapprochent davantage de ROCK CRITICS. Si l’amalgame effréné de séquences mouvantes et de basse continue de "Red Fashion (Electronic Rock)" renvoie au travail embryonnaire de Pile Ou Face (1981), c’est "Blue Fashion (Decadent Waltz)", plus organique et harmonieux, qui préfigure véritablement le futur album T.V. Show. Il émane une certaine mélancolie du piano de "Blue Fashion", que viennent perturber l’égosillement des guitares saturées. Deux très beaux morceaux dont il émane une progression musicale prenante.

D.G. Portrait est une nouvelle fois un disque pas des plus charismatiques, mais dont les richesses se dévoilent à force d’écoutes. C’est l’album le plus à cheval entre le travail de Luc MARIANNI en solo et le travail collectif de ROCK CRITICS. Sur les albums suivants, les collaborations musicales seront d’une toute autre nature.

3 ½ sur 5