Mes rapports avec le Rock Français ont toujours été compliqués, ayant beaucoup de mal à accepter des imperfections qui me sautent aux oreilles dès que je m’intéresse à un groupe de l’hexagone. C’est généralement la faiblesse des textes qui me rebute, parfois les voix de chanteurs, très souvent le manque de personnalité musicale ou d’inspiration. Mais s’il est un album qui ne possède aucun de ces défauts rédhibitoires, c’est bien ce Poèmes Rock qui représente de mon point de vue tout ce que le Rock made in France peut nous offrir de meilleur.

Commençons par le bonhomme : originaire de Lorraine et diplômé de l’Ecole Nationale des Beaux Arts, Charlélie Couture se définit comme un promoteur de l’'Art total', s’intéressant autant à la musique qu’à l’écriture et la peinture. On retrouve ces affinités dans Poèmes Rock qui concilie des musiques parfaitement troussées avec une étonnante capacité à faire naître des images et dépeindre des personnages, des lieux et des situations grâce à de grandes qualités narratives.

En 1981, Charlélie est signé par la maison de disques anglo-américaine Islands Records. Il part enregistrer à New-York son second album pour ce label, son quatrième au total. Il est accompagné d’un groupe expérimenté et compétent, pour accoucher d’une œuvre qui sait parfaitement concilier le Rock et le Blues anglo-saxon avec la poésie sombre à la française, dans un esprit nocturne, urbain et légèrement poisseux qui caractérise le disque. La voix, somme toute assez limitée de Charlélie, est réhaussée par son inimitable accent de l’est qui lui confère une personnalité unique et attachante, alors que le son de l’opus est excellent, assez brillant selon les goûts de l’époque mais sans rien qui sonne aujourd’hui daté.

Le Jackpot est au rendez-vous grâce à l’énorme succès du titre "Comme un avion sans ailes", incontestablement un des titres les plus marquants de l’histoire du rock hexagonal. Mais il serait injuste de limiter le succès de l’opus à ce single, aussi prodigieux soit-il, tant le disque regorge de petites bombes au long des 39 minutes de musique et des onze titres qu’il nous propose.
Ainsi, la très rock "La ballade de Serge K" en ouverture d’album nous plonge-t-elle dans l’enfer de la vie dans la rue au son de guitares déchirantes et d’images saisissantes pour un résultat magistral. Autre chef-d’œuvre du disque, "L’histoire du loup dans la bergerie" est une merveille narrative : drivé par un piano jazz, Charlélie nous raconte sa petite histoire tellement simple et tellement vraie qu’elle s’incruste définitivement dans nos têtes et que l’on n’oublie plus le légionnaire, le bistrot et le loup. "Oublier" est un formidable blues-rock endiablé et super entraînant sur lequel les petites vocalises de Charlélie et le chouette solo de gratte font totalement mouche avec un texte simple et super efficace. "T’en va plus, t’en va pas" est un titre poignant épuré et lancinant remarquablement orchestré, alors que "Le fauteuil en cuir" vient fermer l’album dans une ambiance de nouveau très rock et particulièrement énergique.

Il existe également des ballades dans l’album, notamment "Tu ne m’as pas dit d’où tu venais" intime et imprégnée d’un bel esprit folk souligné par de superbes lignes de guitare réhaussées par de belles interventions d’un harmonica. "Envie de l’eau" nous installe de nouveau dans une atmosphère jazzy avec un propos plus léger, "Longtemps longtemps" est un joli blues de fin de soirée accompagné par le seul piano alors que "Le chant de la colline" est un petit titre amusant sur lequel Charlélie freudonne un air folk entraînant, et que "Comme si on y croyait" révèle une belle ambiance intime et profonde, servi par un joli texte de nouveau riche en images.

Coup parfait donc pour Charlélie COUTURE et grande réussite de cet opus inspiré et parfaitement réalisé, qui contient son lot de merveilles finement ciselées et portées par de petits poèmes urbains impeccablement troussés. Ce disque reste une référence et trône très près des sommets pour un rock hexagonal rarement invité à pareille fête, toutes périodes confondues. Pour cette raison, la note maximale s’impose sans coup férir.