Entre la fin des années 70 et le début des 90's, trois fantastiques musiciens américains allaient révolutionner la guitare Rock et la projeter dans des sphères inenvisageables avant leur arrivée. L'immense Ed VAN HALEN bien entendu donnait le premier grand coup de pied dans la fourmilière. Surfing With The Alien de Joe SATRIANI laissait en 1987 tout le monde sur le cul. Quant au troisième larron, Steve VAI, il nous avait déjà sérieusement titillé les oreilles en 1984 avec l'improbable Flexable, tandis que Passion And Warfare paru en 1990 le plaça définitivement au panthéon des Guitar Heroes.

On connaît l'histoire de Steve : les cours pris à partir de 14 ans avec Joe SATRIANI, le Berklee College de Boston, les débuts avec Franck Zappa impressionné par les compétences musicales hors-norme du jeunot, le premier L.P auto-produit et les deux albums enregistrés avec David Lee Roth, dont le fameux Eat'em And Smile en 1986. Inutile de dire que son premier véritable album (si on considère plus Flexable comme une oeuvre de jeunesse expérimentale) était attendu avec grande impatience par tous les amoureux de la six cordes. Et ils ne furent pas déçus.

Passion And Warfare nous dévoile en effet un musicien s'inscrivant certes indiscutablement dans la lignée des deux glorieux aînés précités : Steve VAI joue du rock solide et sévèrement burné, et fait étalage d'une virtuosité sans faille, drivée par une technique proprement ahurissante. Mais fort de cet héritage assumé, et au contraire des innombrables suiveurs du mouvement qui commençaient à pulluler à l'époque, Steve VAI ne sonne à aucun moment comme ersatz d'Edward et de Joe. S'il a totalement intégré dans son jeu la folie et la liberté du premier et l'impressionnante rigueur technique et harmonique du second, il ne sonne à aucun moment comme quelqu'un d'autre que lui-même : un musicien singulier, passionné, totalement libre dans son expression et sa créativité, empli de spiritualité et d'expressivité, et dont l'instrument est indiscutablement le prolongement naturel d'une âme bien pleine.

Passion And Warfare est une oeuvre touffue et exigeante de 14 titres pour 53 minutes de musique, qui mérite de multiples écoutes pour bien en saisir les innombrables subtilités. Le disque regorge de trouvailles, d'innovations, de rebonds improbables, tantôt hilarants, tantôt touchants, tantôt incroyablement intenses. Steve y malaxe et triture son instrument à grand renfort de vibratos, de bends, de tapping et, finalement, de toutes les techniques permettant à son imagination débordante de nous atteindre et nous toucher. Si le disque n'est pas absolument parfait de bout en bout, il n'en est pas moins passionnant et peut encore nous surprendre 34 ans (déjà !) plus tard.

Si "Liberty", une sorte d'"hymne à la Joie" rock, introduit parfaitement le propos, "Erotic Nightmare" nous place rapidement sur les rails d'une musique débridée et rapide flirtant allègrement avec le Hard-Rock, à grand coups de riffs bondissants et de saillies guitaristiques imparables. "I Would Love To" nous propose un versant beaucoup plus formaté de l'art de Steve, plus proche de ses travaux avec Lee Roth. Le thème aurait pu être pondu par Joe SATRIANI. Sur "The Audience Is Listening", on pense beaucoup au "Hot For Teacher" de VAN HALEN : la compo est superbe mais un peu gâchée hélas par la voix de la maîtresse d'école affolée puis venimeuse qui nous fait bien marrer au début du titre mais devient un peu soûlante à la longue. Les voix off, d'ailleurs présentes tout au long du disque, souvent en intro, participent pleinement à l'unité et à l'originalité de l'opus. "Greasy Kid Stuff" évoque un peu également le monde de Satch, alors que "The Animal" la bien nommée nous propose un riff énorme parfaitement pachydermique ; c'est un titre qui permet à Steve, parfaitement soutenu par les impeccables Stu Hamm à la basse et Joe Frazier à la batterie, de bien s'amuser et de s'éclater à grands coups de sonorités et phrases improbables. "Answers" s'inscrit dans la même lignée : très rapide, parfaitement troussé, inspiré et totalement déjanté.

Au rayon des titres les plus expérimentaux, "Ballarina 12/24" fait forte impression avec des arpèges joués à toute vitesse pour évoquer une boîte à musique, alors que je manque de mots pour décrire "Alien Water Kiss" qui ressemble finalement à son titre (débrouillez-vous avec ça !) "Love Secrets" a un petit côté progressif d'excellent aloi avec une basse trépidante et des claviers quasi symphoniques, avant qu'une nouvelle dinguerie guitaristique et toutes sortes de bruitages ne viennent prendre possession des lieux et mettre un terme à l'album.

Je vous ai gardé pour la fin les 'ballades' (attention ceci dit car avec Steve rien n'est jamais réellement formaté). "Sister" est une jolie suite d'accords et d'arpèges avec quelques évocations de Jimi HENDRIX, qui permet à Steve de nous éblouir par sa finesse et la précision de son toucher. "The Riddle" est un énorme titre qui nous propose une orgie de sonorités plus splendides les unes que les autres pour aboutir à un véritable orgasme musical non simulé et se terminer par un profond et assumé crédo US "With Liberty And Justice For All". "Blue Powder" nous offre un thème entêtant, marquant et subtil réhaussé de superbes développements teintés de Jazz et de Funk en seconde partie de titre et de nombreuses et excellentes surprises. J'ai gardé pour la fin la pépite, la splendeur des splendeurs, "For The Love Of God", titre d'une magnificence et d'une profondeur inégalée, un des plus beaux instrumentaux que je connaisse, sommet d'expressivité et d'une virtuosité au pur service de la musique. Steve s'y livre totalement, sans pudeur ni fard et c'est magique !

Cet album est un véritable almanach de la guitare rock, servi par un musicien de génie au faîte de son art et de son inspiration et porté par une passion et une foi qui transpirent littéralement des sillons. Après, plus rien ne sera vraiment comme avant dans le monde de la guitare rock, l'influence de Steve Vai ne cessera de croître et son aura ne se dément en rien aujourd'hui, même si beaucoup de shreddeurs qui reprennent encore ses morceaux n'ont retenu que la partie la plus 'clinquante' de la formidable leçon assénée dans ce magnifique opus qu'il n'est pas trop tard de découvrir aujourd'hui encore (cachez-vous cependant pour le faire car c'est presque impardonnable d'être passé à côté).