Selon Steven Stapleton (l’homme derrière NURSE WITH WOUND), sa rencontre avec David Tibet, au tout début des années 80, fut des plus tumultueuses : alors qu’il versait tranquillement dans un coin à l’écart d’un festival qu’on imagine sans peine tout à fait psychédélique et expérimental au-delà du raisonnable, il fut réveillé parce qu’un type trop bourré pour y voir clair s’était mis littéralement à lui pisser dessus. C’est ainsi que naquit une inaliénable collaboration qui dure encore à l’heure où j’écris ces lignes – et une véritable amitié, en somme.

Le premier objet de cette fructueuse amitié, enrichi par les lumineuses présences de John Balance, John Murphy et John Fothergill, est ici réuni dans sa forme la plus primitive et incantatoire possible. Nous sommes encore bien loin du CURRENT 93 des ballades néo-celtiques et des envolées de troubadour nostalgique. "Alone Into The Alone" broie littéralement du noir pendant plus de 20 fort agréables minutes tandis que "Only Shadows Of Hooks" nous entraîne, en compagnie d’un incessant et envoûtant sample du Requiem de Gabriel FAURE, au cœur d’un tourbillon de voix entremêlées dans de caverneuses résonances.
Une grande partie des effets et des samples (dont le fameux de FAURE) utilisés sur ces deux premiers titres se retrouvera plus ou moins dans le même ordre, mais en beaucoup plus condensé et retravaillé, sur l’excellent et terrifiant Nature Unveiled une année plus tard.
La version cd de 90 propose encore deux excellents titres, "Christ’s First Howling" et "Fields Of Rape", plus courts, composés de samples de voix tibétaines, de gong et autres objets de curiosités ; deux titres de NURSE WITH WOUND, à quelques détails près.

Le « Bar Maldoror » dont il est question ici n’existe pas vraiment (quand bien même il aurait concrètement existé depuis) ; il est le théâtre d’expérimentations premières, primordiales, en fin de compte toujours remis à zéro.
Il est à noter que cette période radicalement indus et expérimentale de CURRENT 93 ne durera pas ; du moins elle sera rapidement nuancée par les éléments folks et le lyrisme intarissable de l’ami Tibet, donnant lieu à de beaux témoignages de folie contrôlée comme le mythique Earth Covers Earth en 1988.
Ce faux-vrai live demeure donc un précieux témoignage de musique archaïque dans le sens le plus brut du terme.

« Voyez, voyez, dans le lointain, cet homme qui s’enfuit. Sur lui, terre excellente, la malédiction a poussé son feuillage touffu ; il est maudit et il maudit. Où portes-tu tes sandales ? Où t’en vas-tu, hésitant comme un somnambule, au-dessus d’un toit ? Que ta destinée perverse s’accomplisse ! Maldoror, adieu ! Adieu, jusqu’à l’éternité, où nous ne nous retrouverons pas ensemble ! »
Lautréamont, Les Chants de Maldoror