Il y a parfois dans la vie, on l’oublie trop vite hélas, d’heureux accidents. Dans la vie de Sapleton, ce fut Soliloquy For Lilith.

A l’origine de l’Origine, Lilith est la première des pécheresses, celle qui emporte le foutre d’Adam dans l’en-deçà pour y engendrer succubes et démons.
Mais Lilith est ici et avant tout la fille de Stapleton, née en 1988 et dont le présent opus est un hommage, un cadeau de bienvenu au monde. Et ce cadeau n’aurait pu voir le jour sans un heureux concours de circonstances ; en l’occurrence, un pur et simple caprice du dieu Electricité. En compagnie de sa femme, Diana Rogerson (également musicienne), notre jeune papa s’aperçut de la présence d’un feedback imprévu, comme auto-généré par sa seule alimentation électrique et réagissant au mouvement physique au sein du studio, de sorte que le couple pouvait modifier la tonalité générale à la manière dont on joue du thérémine. Le résultat final, de part son caractère purement monolithique, dénote assez nettement avec les précédentes réalisations de NURSE WITH WOUND.

L’effet que procurent ces 8 longues, traînantes et massives plages de drone sur l’esprit est presque indescriptible ; cependant, un sentiment sûr et certain s’en dégage, à savoir celui d’une rayonnante sérénité noire. L’impression non pas de flotter dans la brume mais de lentement et lourdement tournoyer au-dessus du plus infini des gouffres. Un lumineux point noir que l’on fixerait de 8 points de vue différents au sein des ténèbres – un album parfait, en somme.

La réception de cet accident, de ce lapsus musical, fut excellente et le disque demeure à ce jour le plus vendu de NURSE WITH WOUND et l’un des plus influents (le groupe de bons gros stoner, SUNN O))), entre beaucoup d’autres, lui doit une fière chandelle). Et, une fois n’est pas coutume dans l’histoire de la musique, le principal intéressé le tient en très haute estime, le qualifiant même de 'Fucking brilliant'.
Pour ma part, la réception, à l’aube de la trentaine, fut énorme, imposante comme la patte d’un éléphant s’enfonçant dans le cerveau reptilien. Je n’ai pas souvenance d’avoir autant écouté un disque dans ma vie ; peut-être parce qu’il ne s’agit pas du tout d’un disque mais d’un outil ?

Si la terre était couverte de poux, comme de grains de sable le rivage de la mer, la race humaine serait anéantie, en proie à des douleurs terribles. Quel spectacle ! Moi, avec des ailes d’ange, immobile dans les airs, pour le contempler.
Lautréamont, Les Chants de Maldoror