Certains albums ne devraient jamais se perdre. Ainsi est l'impression que laisse ce quatrième d'Evie SANDS, paru près de vingt ans après le dernier en date en 1979. À l'époque, elle voulait se retirer de la scène musicale, mais elle a finalement opté pour continuer l'écriture destinée à d'autres artistes, voire la production de ceux/celles-ci (Holly NEAR pour l'album Speed of Light, 1982, doté d'une équipe très majoritairement féminine). Beaucoup de discrétion à part cela, mais avec elle, c'est fou comme les choses se font bien, quand elles se font !

Il lui suffit, alors qu'elle ne l'a point croisé ou presque toutes ces années durant, de profiter d'une occasion en pleine seconde moitié des années 90 pour rejoindre son ancien mentor-compositeur Chip Taylor sur scène, en plein retour lui aussi d'ailleurs. Alors, les choses vont relativement vite : cela tombe bien car Taylor vient de créer son propre label en 97, Train Wreck Records, établi dans les environs de New York ! En quinze ans de signature, Evie SANDS aurait eu le temps d'en profiter, mais non, deux albums à peine vont voir le jour, et encore, plutôt un et demi (la suite en 2013, ou après pour en parler).

Il reste donc de cette époque faussement dorée un disque entier de 1998, baptisé Women in Prison. Evie a désormais 52 ans, sa période-phare est très loin derrière elle ; que peut-elle avoir à nous raconter ? Oh, sans doute de belles choses, comme toujours, bien que le titre semble avoir une connotation sombre cette fois. De même, la texture de fond de cette pochette mais où SANDS canalise toute la lumière, tenant fièrement sa guitare et comme depuis ses débuts, avec l'exception supplémentaire d'être gauchère. En réalité, cet album de retour (éphémère) n'est pas 'juste' bon, il est, comme elle, de qualité supérieure, tout simplement 'à part' !

En vingt ans, Evie n'a rien perdu de sa superbe, vocalement d'abord, guère plus que de son physique avenant. Un peu moins d'aiguës juvéniles, normal, mais vraiment, quelle fluidité, quel sens de l'interprétation ! Heureux le miroir ou les proches qui, chaque jour, continuent d'en profiter ! Rien que cet "Angel in Your Eyes" aux arpèges délicats en acoustique, cet esprit folk/blue-eyed soul des années 60/70 traité différemment. Une jolie chanson douce au petit solo rudimentaire par SANDS elle-même, mais qui lui sied définitivement, à l'instar d'un autre 'angel', celui du matin, qu'elle invoquait en 67 (bien aidée par monsieur Chip au talent immense, déjà !).

Le titre reprend celui d'une des chansons du milieu de l'album, sans doute pour donner une couleur moins personnelle à l'ensemble de prime abord, alors qu'il y est toujours question de sentiments, d'intimité. "Women in Prison", slow country franchement magique, avec des intonations hispaniques et la voix de Taylor en écho masculin, s'éloigne des canons du genre avec une belle simplicité, n'offrant que de la beauté. Evie est tellement douce ! Idem un peu plus loin de "I Want Your Hands", crépusculaire et au son massif, avec de belles guitares héroïques : en plus de SANDS, Al Gorgoni de le Texan Tommy Spurlock, co-producteurs de l'album avec Taylor, abattent un boulot génial tout du long.

Il y a de quoi se délecter, entre "Brooklyn Blues" très chouette, relâché et respirant, doté de l'accordéon joué par Randy Leago, et "Little Girl Cryin'", slow limpide et marqué personnellement (rapports d'une jeune femme avec ses parents), avec sa suavité qui se savoure tout autant, le saxophone ténor un rien tardif du même Leago venu lécher la voix d'Evie. L'expérience sexy de l'album, "Fingerprint Me, Baby", est une prière amoureuse où SANDS dit qu'elle est mauvaise et qu'il faut tout de suite que le gars marque son empreinte, sur un fond blues New Orleans. Splendide, tout comme le road-movie de "Gasoline and Coffee", entêtant avec sa slide mordante.

Accordée à ses humeurs, SANDS fait s'enchaîner "I Want Your Hands", "I Hate You Today" (pure chanson de rejet, guitare hispano et batterie-cowbell à l'appui) ainsi que "Always" (au contraire, cette promesse rassurante de toujours être présente), chanson brumeuse aux pistes de guitares multiples qui n'est pas sans évoquer "Menta e Rosmarino", tube de ZUCCHERO paru un an plus tôt.

D'un autre côté, il y a ce début d'album si beau et optimiste quant à la qualité d'ensemble, avec le pop/blues-rock routier "I Ain't Done Yet" aux guitares rugueuses et joliment versatiles encore, puis "Cool Blues Story", son riff de dobro, son rythme Bo DIDDLEY tranquille, son accordéon sur les refrains et son duo SANDS-Lucinda WILLIAMS (à qui l'on doit le retour de Chip Taylor aux affaires), du plus bel effet.

Quelle classe ! Même si le sticker du CD vante ce dernier morceau (non sans raison, bien sûr), c'est tout de même vers "While I Look at You" que toutes les paires d'yeux-oreilles convergent. Tout simplement l'un des plus beaux 'tubes ou presque' aériens/routiers/voyageurs des années 90 avec des arrangements d'orfèvre, une chanteuse merveilleuse, des guitares à la Mark KNOPFLER, une brillance (même sur le pont brumeux) et une texture sexy, une batterie syncopée, un piano électrique doublant la mélodie, des susurrements et un final qui... pourrait/devrait ne pas avoir de fin... Quel délice ! Et dire que cela s'est si vite perdu, comme tout le reste de cet album incroyable, à l'image de cette si belle artiste !