Son année 1959, AZNAVOUR l’occupe grandement à sa carrière cinématographique. Côté musique, à force de persévérance, il est maintenant reconnu dans les grandes salles parisiennes, mais peine encore à charmer les villes de province. Il a aussi lancé sa carrière internationale en sortant son premier album en anglais, reprenant ses chansons françaises. Il poursuit donc sa vie d’artiste comme il se doit et sort un nouveau disque C’est Ça.

"La Ville" marque la dernière collaboration entre Gilbert BECAUD et Charles AZNAVOUR. Ils peignent un grand tableau urbain de six minutes qui dépasse les cadres de la chanson française habituelle. La version d’AZNAVOUR mélange subtilement des touches de jazz à une orchestration plus chanson française. Un passage narré ouvre le morceau, comme une ouverture de spectacle. La musique fluide permet au texte de se développer, entrecoupée de silences permettant de le faire respirer, un ensemble qui rend l’œuvre très narrative. La progression harmonique, typiquement chanson française, oscille entre majeur et mineur, créant une certaine richesse de nuances et pose un ton à la mélancolie particulière. Opus réussi du tandem, la version de BECAUD, bien différente et plaisante, est bien sûr à écouter.

À ses débuts, rappelez-vous, AZNAVOUR formait un duo avec Pierre Roche. C’est ce dernier qui le convainc de couper ses cheveux et ses rouflaquettes, d’enlever sa casquette, d’adoucir son argot mais surtout, il l’initie au jazz. Et, une chose est sûre, le jazz, au fil des années, Charles l’a largement adopté. "Ce Sacré Piano" se déploie donc dans des rythmes jazz parfois swing aux airs music-hall. On remarque une voix qui, année après année, s’est éclaircie, devenant bien moins rauque. Il chante de manière fluide et rythmée. Le piano virevolte, l’orchestre est souple et dansant. "Mon Amour" et "Donne, Donne Moi Ton Cœur" se révèlent doucement, deux ritournelles jazzy et dynamiques. Indéniablement jazz "C’est Ça", fait passer un moment très sympa entre son ton vif et pep’s, son rythme syncopé et son texte cadencé. AZNAVOUR expose son art et privilégie la langue vive à la langue littéraire.

Certaines de ces œuvres arborent une dimension très proche des chansons de cinéma, se déployant comme de petits films. L’expressive "Je Hais Les Dimanches" par exemple repose sur l’oralité, avec un texte qui se raconte. L’orchestre au second plan ponctue, accentue et soutient les mots. Elle est toutefois un peu redondante, de même que "Il Y Avait Trois Garçons" qui, elle aussi, donne l’impression de se retrouver dans une scène de film.

Autre caractéristique d'AZNAVOUR, il porte ses récits, les incarne en se mettant dans la peau d’un autre. Pour cela, il travaille beaucoup devant des miroirs qu’il accumule chez lui. Il raconte le monde, des scènes de vie, des émotions qui parlent à tous et ainsi n’exclut personne. Cela explique le fait que tant d’artiste interprètent ses textes. "Si Je N’avais Plus" est d'ailleurs reprise par plusieurs chanteuses. Ici, l'orchestre s'engage, cristallin et mélodieux, et Charles chante avec nostalgie. Puis, il nous fait nous envoler vers une ballade romantique et mélancolique avec "Ma Main A Besoin De Ta Main". L’orchestre, au rythme lent, est sublime et, dans la même idée mais en plus lourde, "Quand Tu Viens Chez Moi, Mon Cœur" s’ajoute aux chansons sentimentales.

Comme souvent chez Charles AZNAVOUR, les arrangements musicaux sont soignés et plaisants. Dans cet opus, il a l’air à sa place. Toutes les chansons qui s’inscrivent dans un ton jazzy se défendent remarquablement et les autres peinent à suivre la cadence. Le tout lui offre un joli 3.