3968 CR 13. Etrange comme titre pour un album de reggae provençal, non ? Il s'agit en réalité de la plaque d'immatriculation de la célèbre Citroën 2CV qui appartient au groupe. Cette sympathique pétrolette bleue à quatre roues apparaissait déjà dans le clip de la chanson "Violent" en 1991, à l'époque de l'album Parla Patois. Toujours est-il qu'en 2000, après deux albums un peu particuliers mais pas mauvais du tout, MASSILIA nous revient au volant de ce cocasse véhicule avec un album flambant neuf sur lequel le son typique du combo, mélange de ragga, de dub et de sonorités provençales, a beaucoup évolué. Plus de samples hindous comme sur Aïollywood ni de remixes avec orchestre dub comme sur Marseille London Experience. 3968 CR 13 est cependant tout aussi expérimental que ses prédécesseurs et nous le prouve en mélangeant allègrement sonorités reggae plus roots que par le passé, instrumentales provençales vraiment classieuses et, ô grande nouveauté, des rythmiques électro.

Cette touche électro est due en grande partie au nouveau DJ du groupe, DJ Kayalik. L'ère Gòatari, durant laquelle MASSILIA se contentait parfois d'une seule platine et d'une simple boîte à rythmes semble bien finie et cette fois c'est à du scratch bien travaillé que nous avons droit, voire à des rythmiques drum'n'bass. Les rythmes sont vraiment différents de ce que proposait le groupe dans les années 1990, et en cela, cet album marque le début d'une nouvelle ère du combo phocéen. Les samples et instrumentales provençales, très fouillés, dégagent une certaine émotion, comme un écho venu du fonds des âges. Le groupe a cherché visiblement à rendre authentiques ces ambiances occitanes dont il s'inspire depuis ses origines. Et il le fait de fort belle manière en conviant Céline Ricard, l'une des deux figures emblématiques du groupe folklorique occitan LA TALVERA, à venir jouer de la bombarde sur l'intro de la chanson "Tenson Du Bambou". D'autres morceaux, tels que le sublime rock médiéval de fin ("Lei Companhs De Fin Amor"), sont un hommage vibrant à l'Occitanie millénaire et aux Trobadors. En ce qui concerne le son reggae qui évolue, on note que le groupe a cherché là aussi à se rapprocher d'un son reggae très roots/old school. Le comble est d'ailleurs atteint avec le morceau mélancolique "Bouteille sur Bouteille", dont l'instrumentale est une version dub samplée de "Natural Mystic", la première piste de l'album Exodus de l'ami Bob MARLEY.

Les textes cette fois vraiment recherchés abordent des sujets certes toujours aussi colorés, mais d'un niveau d'écriture rarement égalé par les autres albums du MASSILIA. Les excellentes chansons "Tout le monde ment" et "Tenson Du Bambou" nous donnent l'occasion de voir Gari Greu et Moussu T s'adonner à des joutes verbales typiquement languedociennes à la manière de leurs confrères toulousains des FABULOUS TROBADORS. D'autres telles "Elles Ont Des Pilotis" ou encore "La Fille Du Selecta", cependant très légères, déçoivent un peu au sein de l'album. Par ailleurs, l'opus consacre enfin réellement les deux MC's Gari Greu et Lux B, très présents, notamment Gari Greu qui chante quasiment sur plus de titres que Papet Jali, ce dernier semblant d'ailleurs plutôt en retrait ici.

En ce début de troisième millénaire, l'album à la 2CV est un vrai voyage musical que nous offre chaleureusement MASSILIA, un voyage quelque part entre les pays d'Occitanie et la Jamaïque, quelque part entre La Ciotat et Kingston. Cet album oscille entre le très bon ("Pauvre de Nous", "Jovent", "Lei Companhs De Fin Amor" notamment, excellentes) et le franchement léger ("La Fille Du Selecta", une sorte de comptine parodique sans réel intérêt). Mais absolument rien n'est à jeter. Il y a toujours l'irrésistible envie de danser, de chanter et de faire la fête en buvant le pastaga, l'émotion et la sensualité typiquement marseillaises qui font que ce groupe est si cher à notre coeur. MASSILIA SOUND SYSTEM confirme par la suite qu'il a réellement pris le bon cap avec le nouveau gréement dont il vient de doter son fier esquif.